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que le ciel lui donne le bonheur d’exterminer ces diaboliques Pous ! Il sera béni de tous les Chinois.

Les Pous, en effet, comme pour une chasse au cerf, battent les champs pendant deux ou trois jours et prennent toutes les personnes qu’ils trouvent ; quand ils en ont deux ou trois cents, ils les emmènent au bord du Hun-ho[1]. Là, ils les mettent en ligne, au bord, le dos vers l’eau. Puis à quelque distance, ils forment une autre ligne. Et alors ils se ruent, bayonnette en avant, sur les victimes qui périssent ou bien percées ou bien précipitées dans l’eau ; ceux qui se jettent à l’eau pour se sauver à la nage servent de cible aux fusils de ces lâches assassins.

Non seulement les Chinois le racontent, mais même les Ous. Mon honorable beau-frère rencontra heureusement un officier Ou qu’il osa aborder en utilisant sa connaissance de la langue russe du màï-maï-tcheng[2]. Il lui raconta son malheur et demanda comment il pouvait faire pour retourner chez lui. L’officier semblait indigné des ignominies des Pous ; et il lui dit que le chef des dévaliseurs de notre ville était mort. Nous tous remercions le ciel d’avoir exterminé ce crapaud venimeux[3]. L’officier le fit attendre à la porte du palais impérial ; car tout le monde entre maintenant dans la ville impériale. Et en sortant, l’officier lui donna une fiche qui le faisait conducteur d’un chariot de thé pour notre ville, et ajouta deux onces d’argent pour la route ; car il faut, hélas ! prendre des provisions comme si l’on traversait le désert. Le transport de thé arriva bien ici ; c’était en grande partie le même thé qu’on avait volé ici, que l’on avait vendu pour rien à la criée, et qu’on a dû racheter cher. On est deux fois volé ainsi.

Quand sera la fin de tous ces désastres ? Quand l’empereur égorgeur sera-t-il frappé du ciel comme le saccageur de notre ville ?

De mes propres affaires je ne veux plus rien écrire. Mais soyez

  1. Le Hun-ho est la rivière qui, en constituant l’affluent le plus considérable du Peï-ho, offre une voie navigable entre Tien-tsin et Hsiouen-hoa ; elle passe près de Pékin. C’est cette rivière que les jonques de thé, venant par le grand canal impérial depuis le centre de la Chine, remontent pour débarquer leurs chargements non loin de Kalgan, d’où le thé est transporté à dos de chameau ou en chariots à bœufs, à travers le désert mongol jusqu’à Kiakhta.
  2. C’est le dialecte corrupu, une espèce de monosyllabisation du russe, qui sert à Kiakhta comme moyen de communication entre les marchands russes et chinois.
  3. Le comte York von Wartenburg a été, au retour de Kelgan, mis à mort par asphyxie. On avait, dans la nuit, obturé le tuyau de la cheminée.