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épouvantable frappe le peuple chinois et quelle est la turpitude à jamais mémorable des ignobles barbares et de leurs empereurs.

Seuls les Ous ressemblent à des êtres humains ; les Pous, qui sont le plus grand nombre, se conduisent d’une façon abominable ; rien de si atroce n’est rapporté dans les annales des dynasties Kin et Yuan, touchant l’invasion des Tatars[1]. Et alors, les Chinois savaient qu’ils étaient en guerre et pouvaient se défendre, tandis que maintenant le gouvernement dit que nous ne devons pas bouger, et l’on nous assassine lâchement. Tous les Chinois que les Pous trouvent hors de la Résidence sont tués.

Mon honorable beau-frère n’a presque rien pu manger pendant tout le voyage jusqu’à la Résidence. On l’a beaucoup battu, et les barbares, véritables animaux carnassiers qui ne savent même pas manger comme il faut[2], l’ont employé comme esclave et l’ont traité comme jamais maître chinois ne traiterait ses domestiques. On n’a pas voulu lui permettre de satisfaire ses besoins naturels, et quand, dans la nuit, il fut malade, les soldats qui gardaient les prisonniers, prirent ses excréments et les lui étalèrent sur la figure en l’interpellant avec d’abominables rires. Quelques-uns de ses compagnons ont essayé de s’enfuir : on les a tués à coups de fusil.

À la Résidence, il règne un désordre lamentable. Le maître de la ville est le général des Pous, un voleur, une bête féroce et malfaisante, comme tout le monde dit, qui, à lui seul, a fait plus de mal que tous les criminels détenus dans les prisons d’État. Toute la population est en danger de mort. Jamais anarchie plus complète n’a existé, depuis le commencement de l’Empire.

Avec le contenu des deux cent trente chariots d’objets volés, on a fait une grande criée sur une place de la Résidence. Mon

  1. Ici l’auteur compare les horreurs de l’heure actuelle à celles qui ont caractérisé la conquête de la Chine par Djinghiz-Khaghan et ses successeurs. La dynastie Kin, c’est-à-dire « Or », d’origine tongouse, est peut-être apparentée à celle des Mandchous qui règne actuellement. Après une guerre de quatre-vingts ans, Khoubilaï, le petit-fils de Djinghiz, put assumer le titre impérial, et investir du nom dynastique de Yüan sa famille, en 1280.
  2. On sait que les Chinois mangent à l’aide de deux baguettes que l’on emploie, pour ainsi dire, comme deux dents mobiles de fourchette. Cette façon de manger est très élégante et, pour le genre de mets en faveur chez les Chinois, beaucoup plus commode que la nôtre. Un Chinois m’a fait, de la façon suivante, remarquer quelles différences existent entre les diverses nations civilisées : « Les soldats Pous se conduisent et mangent comme des animaux. Les soldats Ji-pen (Japonais) se conduisent comme des animaux et mangent comme des hommes. Les soldats Ous mangent comme des animaux et se conduisent comme des hommes. »