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Quand je me réveillai, il faisait nuit ; Je criai au secours. Monsieur Ou m’entendit, il arriva avec une lampe. Il me détacha. Les assassins étaient partis. Mais, horreur ! dans l’appartement intérieur gisaient ma femme, morte, le ventre ouvert, après d’horribles violences, mon fils, le crâne fracassé, et les deux femmes de chambre, tuées à coups de sabre, violées elles aussi, — et le nourrisson malade. Je ne pouvais pleurer. J’étais fou de rage. Je criais vengeance. Jamais des innocents n’ont été aussi horriblement torturés…

Monsieur Ou m’entraîna et me cacha dans son magasin, maintenant vide. Là je fus malade. Mais je fis le vœu de torturer et de tuer lentement autant de ces barbares qu’il me sera possible. Et, comme pour moi il n’y a pas de possibilité de le faire, j’implorai le Ciel d’envoyer sur la terre un homme noble qui abatte l’empereur de ces barbares, comme une bête malfaisante, — ce serait justice, — et le précipite dans l’enfer pour qu’il y soit jugé par le suprême juge…

D’ailleurs, tout mon bien est perdu. Les brigands ont chargé deux cent trente chariots de tous les objets volés[1], et les gens volés ont dû eux-mêmes conduire les chariots à la Résidence. Mon beau-frère aussi a été emmené de cette façon.

Plus d’un millier d’assassinats ont été commis. Pourquoi le Ciel permet-il cela ?

Quant à votre honorable fils, je ne sais où il est, ni même s’il vit encore. Après avoir battu le missionnaire usurier de Paoting[2], comme il l’avait juré, il s’est enfui. Cet été, il était à Taï-yuan[3]. Depuis que l’Empereur s’est rendu à Taï-yuan et puis à Hsi-ngan[4], je n’ai plus eu de ses nouvelles.

  1. Ces chariots sont à deux roues et ne supportent pas de charges très lourdes. La quantité de thé (pour ne parler que du thé) volée à cette occasion était, comme j’ai pu le constater plus tard, d’environ huit mille kilogrammes, d’une valeur, à l’endroit même, d’environ 20 000 francs ; en Europe la même quantité vaut approximativement 55 000 francs.
  2. Ville préfectorale, chef-lieu administratif de la province de Tchi-li. Son sort fut curieux. Le troisième document s’y rapporte.
  3. Ville immense, chef-lieu de la province Chan-si, laquelle, point de mire de la Russie, possède des gisements de houille et de fer qui suffiraient à approvisionner (si la consommation restait stationnaire) le monde entier pendant au moins trois mille ans.
  4. Hsi-ngan, une des plus grandes villes chinoises, capitale de la province Chen-si, compte au moins un million et demi d’habitants. Elle a été pendant plus de vingt siècles, jusqu’en 1129, la résidence impériale. Un coup d’œil sur la carte d’Asie montre l’importance de ce point : il commande les communications entre la Chine orientale et l’Asie centrale Notre quatrième document provient de cette ville, actuellement le nouveau siège de la cour impériale.