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son. Et je me suis demandé longtemps s’il ne vaudrait pas mieux que j’éteignisse volontairement ma vie… Vénérable beau-père, que le Ciel vous protège, et conserve votre vie et votre force ! Je reste seul ici de toute ma famille. Votre excellente fille, ma femme, a été, presque devant mes yeux, violentée par les bandes bestiales, et assassinée, le ventre coupé. Votre lumineux petit-fils, mon pauvre fils[1], a été tué d’un coup de revolver, parce qu’il pleurait trop. Et le nourrisson dont je vous ai fait savoir la naissance dans ma dernière lettre, a dû, pendant que je restais lié, grelotter seul : il a pris froid et il est mort après. Votre excellente fille, sœur de ma femme, fut, de même, violentée dans sa maison, mais échappa à la mort, ainsi que ses enfants. Son époux est en danger, car il a été traîné par les barbares à la Résidence, et gardé comme conducteur de chariots de butin. Moi-même, j’ai été cruellement maltraité, parce que, un moment, je m’opposai au pillage du magasin de soieries (j’avais déjà porté chez le préfet la presque totalité de l’argent que je possédais). Je ne sais pas pourquoi c’est moi justement qui ai dû échapper à la mort, tant d’autres ayant été assassinés !

Le désastre ne fut pas moins grand pour la propriété que pour la vie. Voici comment le pillage s’est effectué.

Des fugitifs arrivèrent de Hsiouen-boa[2], disant que les barbares s’avançaient, en pillant et en assassinant. On ferma les magasins. Les uns se rendirent chez le préfet, les autres dans leurs maisons. Bientôt les barbares arrivèrent. Ceux qui connaissent la Résidence, disent que c’étaient des « Pous »[3]. Le préfet ne s’opposa à rien. Le commandant des barbares, un homme beaucoup trop jeune, ayant une barbe, et dont la figure brillait d’arrogance et de cruauté moqueuse[4], se fit montrer

  1. Ce fils avait quatre ans.
  2. Ville préfectorale sur la route de Pékin à Kalgan.
  3. Nom chinois, pour Prussiens ou Allemands. Les Russes s’appellent " Ou », les Anglais « Ying », les Français « Fa ». Le prestige allemand a complètement exterminé le prestige des autres Occidentaux qui ont pris part à cette expédition. Les Russes, on le verra plus loin, attirent l’attention seulement quand ils agissent contre les Allemands ; cela explique leur immense succès actuel. Le coup de maître de la Russie fut de faire assumer la responsabilité des horreurs guerrières à sa seule rivale possible dans la Chine septentrionale. Elle spécula admirablement sur la vanité allemande : Waldersee et avec lui Guillaume II et toute l’Allemagne devinrent l’incarnation de la barbarie européenne. Le Chinois ne connaît plus maintenant que « Pous » et, par opposition, « Ous ».
  4. Le comte York von Wartenburg.