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De l’Intellectualité Française[1]
à monsieur georges clemenceau
Cher ami.

Merci de m’avoir fourni l’occasion[2] de dissiper quelques malentendus. Car avec M. Larroumet il n’y a décidément pas moyen de discuter.

Vous citez le discours que j’ai prononcé au Club de la Presse berlinoise, mais — par inadvertance, bien entendu — la phrase suivante a été omise : « Ce n’est pas la guerre, mais la paix qui est notre but suprême. Bien que nous nous disions chrétiens, il est bon de nous en souvenir ! »

Ces paroles démontrent clairement que le mouvement auquel Berlin donnerait l’impulsion, et qui grouperait dans une fédération défensive les Germains (c’est-à-dire Allemands, Anglais, Américains du Nord, Scandinaves, etc.), ne saurait s’inspirer d’une idée guerrière, ni avoir la guerre pour but. Par conséquent, la phrase « qu’une telle alliance serait assez forte pour imposer la paix » ne doit pas être interprétée dans le sens, que la paix serait imposée par la force des armes.

Pour moi il est hors de doute que les grandes alliances sont le résultat d’un processus analogue à celui qui réunit les familles, en fait de petites communautés qui, en se groupant, en forment qui sont de plus en plus grandes, deviennent de petits états, ensuite de grands états, et diminuent ainsi les possibilités d’une guerre, dans la mesure même où elles s’agrandissent par chaque adhésion nouvelle.

Le but doit être que les grandes confédérations, formées par des nations libres, de même race, rendent la guerre entre celles-ci impossible. Après cela, les états confédérés doivent rechercher de nouveau d’autres alliances, et continuent ainsi à amoindrir de plus en plus le danger d’une guerre.

Confédération germanique, Confédération latine !

Il me semble que ceux qui dirigent leurs efforts dans ce sens, sont moins entachés d’exclusivisme que ceux qui s’opposent à la réalisation de cet idéal.

Vous me reprochez, avec beaucoup d’autres, de voir en M. Larroumet le représentant de la majorité de la France. Aurais-je tort en cela ?

Pour ce qui est de la mauvaise foi et de l’étroitesse d’esprit de M. Larroumet, c’est son affaire. Mais on ne m’ôtera pas de l’esprit que s’il n’était pas le représentant de la moyenne en France, il ne serait pas le porte-parole de ce goût moyen dans le journal moyen qui s’appelle le Temps.

  1. Sur ce sujet, voir, dans La revue blanche, les articles de M. Bjœrnstjerne Bjœrnson, (nos des 15 avril et 15 mai 1901 et de M. Georges Picquart (n° du 1er mai 1901) et, dans le Temps, ceux de M. Gustave Larroumet.
  2. Comme on sait, M. Clemenceau était intervenu au débat dans son périodique, le Bloc.