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bénéfices demeurait dans la caisse de l’État et l’on ne distribuait que des parts égales en assignats et non réalisables. Cette mesure visait assurément le cas de sortie d’un citoyen : pourtant ce cas ne semble pas s’être produit. D’ailleurs, la fin prématurée et violente de la république n’a pas permis de régler la question des excédents de recettes.

Les femmes étaient en fort petit nombre. Libres comme les hommes, elles vivaient avec l’homme de leur choix. Elles s’occupaient à l’horticulture et à pêcher. La pédérastie étant considérée comme un surcroît aux relations sexuelles par le Chinois simple, il peut presque aussi bien vivre en famille avec que sans femme. Les enfants étaient peu nombreux. La rapide annihilation du groupe a empêché la formation d’un droit de famille.

Il est clair que les conditions économiques ou primitives de la vie des proscrits de la Feltouga prouve peu pour ou contre les théories socialistes d’Europe. Du moins il est réjouissant d’observer un groupe d’humains des plus misérables se créant de toutes pièces un bonheur social. Au point de vue scientifique, la destruction de ce centre d’expériences socialistes spontanées est des plus regrettables.

La république de la Feltouga périt victime des mesures d’ordre du gouvernement chinois. Dès l’origine de leur organisation le gouvernement s’était ému de l’existence de ces Khonkhouses, mais surtout de ceux qui, constitués en républiques de brigands, influaient fâcheusement sur les domaines chinois. La puissance des Khonkhouses brigands, grâce à leur organisation semblable à celle qui a été décrite, s’était accrue de telle sorte que, non contents d’occuper toutes les routes de la Mandchourie, ils venaient lever encore de fortes contributions dans les capitales des provinces. On ne pouvait voyager que sous leur protection et elle se payait suivant un tarif progressif. Les généraux et jusqu’aux gouverneurs chinois subissaient cet impôt irrégulier et exhibaient hardiment des sortes de drapeaux-quittances, qui garantissaient la sécurité absolue. Pourtant le scandale à la fin devint tel que le gouvernement central prit des mesures militaires énergiques. Néanmoins, on ne détruisit que très peu de bandes de brigands : elles étaient trop mobiles pour se laisser prendre. En revanche, les colonies stables furent complètement anéanties. Le gouvernement russe gardait l’Amour et empêchait la fuite des communards : tous furent horriblement massacrés. Les deux gouvernements s’entendirent pour prohiber l’introduction des armes, mirent des garnisons et la situation des brigands devint de plus en plus misérable. Au moment de la guerre sino-japonaise, les troupes régulières chinoises évacuèrent le pays, mais ce furent les cosaques qui vinrent protéger la construction du chemin de fer qui commençait. Les Khonkhouses gagnèrent le nord. Enfermés dans les sinistres vallées du Kheichan, ils y attendirent dans le froid, périssant de faim, leur agonie.

Cette tragédie devait tourner à la farce. Il fallait à l’empire russe, au point d’englober la Mandchourie, un ennemi qui fit croire en Europe à