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se constituèrent, selon une nécessité logique qui arrive à devenir plaisante, en ennemis de cet ordre, et formèrent une organisation de brigands.

L’histoire de ces curieuses évolutions sociales n’est pas qu’une interprétation tardive de faits impossibles à vérifier. Il existe encore des individus qui ont assisté aux assemblées où se formulèrent ces étonnants « Droits du Proscrit ». De plus, on peut trouver encore des renseignements sûrs touchant les congrès suivants où se rencontraient les délégués de plusieurs bandes de Khonkhouses.

Dans les différents groupes l’organisation devait sans doute varier avec les conditions locales. Pourtant, deux principes étaient adoptés et rigoureusement appliqués partout : la communauté des moyens de production et des fruits, l’élection au suffrage universel des dirigeants. Chez les brigands comme chez les chercheurs d’or. La vie de ceux-ci étant plus régulière, leur organisation est mieux connue. Le plus célèbre d’entre ces groupes, dont pendant dix ans la vie fut aussi paisible que criminelle aux yeux des gouvernements, est la république fondée sur la Feltouga, affluent de l’Amour, dans l’extrême-nord de la Mandchourie.

Cette république, issue du néant, se trouve avoir institué une expérience du collectivisme d’une envergure telle que les socialistes d’Europe, même en émigrant et en dépit des théories plus ou moins scientifiques, n’ont jamais pu en réaliser. Sa prospérité relative, le développement surprenant de sa vie économique, et cela sans appui du dehors, sous un climat réputé meurtrier, dans un pays stérile, attestent d’abord le génie merveilleux, d’ailleurs encore inconnu des Européens, dont sont doués les Chinois, même les moins cultivés, pour s’organiser et obéir à l’organisation librement consentie. Mais la simplicité de sa législation, le bon fonctionnement des services administratifs, surtout, et, le plus intéressant, l’administration de la propriété commune, semblent prouver que, dans un cercle restreint, on peut, par le communisme, réaliser, avec le minimum de lois précises et d’organes officiels, le maximum d’intensité de production et de sûreté dans les relations privées. Mais il est vrai qu’il y faut de toute nécessité le respect strictement gardé des principes de solidarité, d’honnêteté et de dignité, qui fournissent en Chine un fondement essentiel aux relations économiques et pour l’observation desquels l’Europe barbare et inconsciente n’est malheureusement pas mûre.

Le peuple n’a jamais dépassé, pour son bonheur, le nombre de vingt-cinq mille têtes. Il nommait, au suffrage universel et à une sorte de scrutin de liste, une « corporation législative » de trente membres. Celle-ci, loin de discuter des textes, quand elle avait adopté certains principes généraux de droit, ne faisait plus que contrôler le Comité exécutif, nommé par le Parlement et comprenant deux présidents, deux