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besoin de protéger en commun la vie et les biens de tous, se constituèrent tout bonnement en coopératives de production, sur le modèle de ce qui se passe en Chine et fait sa force. Avec cette différence, qu’outre la production commune, le groupe devait encore avoir en commun tout ce à quoi l’État pourvoit et suppléer à son défaut. La coopérative, réduite à ses propres ressources, devint bientôt, de coopérative de production ou coopérative économique, coopérative sociale et enfin véritable république communiste avec ses organes législatifs, administratifs et exécutifs.

Une évolution analogue se produisit même parmi ceux qui ne trouvaient plus de gisements aurifères à exploiter.

Ce qui est vraiment prodigieux, c’est que l’antagonisme fatal entre les deux groupes de groupes n’ait jamais amené de lutte ouverte, même au début. Rien n’est plus sain ni plus admirable que la vigueur d’esprit logique de ces criminels, dégénérés au dire d’une théorie simpliste, qui, dans cette période d’alternatives implacables, réfléchissaient.

Les uns comme les autres, en effet, étaient proscrits. Les considérations morales ordinaires, Bien et Mal, Droit et Iniquité, avaient nécessairement perdu leur vertu parmi des individus réduits à l’isolement. L’autorité demeurait à la seule logique. Ce qui fait qu’elle l’emporta sur les inspirations de la force, c’est qu’aucun ne pouvait escompter un résultat entièrement favorable.

Nous tenons ici une vérification de cette hypothèse émise par Nietzsche que le Droit n’est en soi qu’un compromis entre individus ou groupes d’individus de force sensiblement égale. Dans l’espèce, le compromis ne fut même pas, comme Nietzsche le supposait, tacite. L’engagement verbal étant absolu pour le Chinois, ces compromis formèrent un code implicite et, chose admirable, dès le début, le groupe se constituait, pour ainsi dire naturellement en tribunal pour juger et punir le crime, de manquer à sa parole. Du même coup, la façon de faire et de vivre de ces hommes qu’on pourrait prétendre anti-sociaux et pareils aux cannibales de Fidji, nous ramène au système cher à Jean-Jacques.

Mais il y a mieux. Outre ce contrat social, plus ou moins tacite, il y en eut un en vigueur de groupe à groupe. Il y eut de véritables conférences entre délégués de groupes de chercheurs d’or établis, et groupes de nouveaux venus.

On discuta avant de les fixer les relations entre ces groupes.

Il est sûr que c’est la peur d’une part et, de l’autre, les conditions économiques qui ont tout fait. Mais il est à remarquer qu’on ne trouve pas là « l’individu malheureux » des socialistes européens, qui prétend sortir d’un ordre social pour entrer dans un autre qu’il croit meilleur. Nous avons affaire à un individu vigoureux, qui affronte courageusement la société et s’en libère, au vrai sens du mot, et puis après s’efface pour redevenir, de propos délibéré, le rouage d’une machine qui marche d’elle-même.

Se trouvant définitivement en dehors de l’ordre social chinois, mais empêchés par la surpopulation de vivre tranquillement, les Khonkhouses