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Cette dignité, la brute américaine de l’Alaska, produit suprême d’une civilisation qui amoindrit l’homme au profit de son milieu, n’a su la conserver. L’Asiate, même Sibérien d’origine russe, est moins européen. Sa soif de l’or fût-elle pareille, il ne consent à la satisfaire qu’en un lieu où en même temps il puisse vivre. Aussi, abandonnant à leur solitude les irréelles splendeurs de l’Extrême-Nord, a-t-il cherché depuis longtemps à s’adonner au vice de l’or dans des contrées qui ne sont qu’à moitié mortes, moins riches, mais moins pernicieuses, qui sont aux autres ce que l’élan est au renne.

Là, l’initiative toujours démoralisatrice des grands autocrates a fait du vice de l’individu une vertu pour l’État. L’or des provinces chinoises appartenait à l’Empereur. De droit. Mais les tsars, qui de longtemps le convoitaient, n’eurent pas plutôt prouvé leur force qu’ils firent à leur tour valoir leurs droits : l’empereur chinois céda par traités les nouveaux dorados aux tsars.

L’empire russe, pour se moquer de l’Europe, fit semblant de conquérir la Mandchourie. Des combats, des victoires furent publiés ; l’Occident crut à une guerre : en réalité, le seul ennemi que les Russes aient rencontré en Mandchourie, et qui résista désespérément, n’a jamais eu la moindre attache, ni avec la Cour, ni avec les Grands Poings, ni avec le peuple. Son nom même de Khon-khou-tsz ne signifie que bandit, brigand. Ces Khonkhouses, naguère maîtres de ce pays pacifique, ne constituaient pas d’ailleurs un seul, mais beaucoup d’états ennemis. L’or les avaient suscités. Ils proviennent en effet d’anciennes associations de chercheurs d’or.

Partout où se trouve de l’or et où l’on peut librement l’extraire et le vendre, en Californie, en Australie, en Sibérie, dans l’Afrique australe, en dernier lieu dans l’Alaska, le concours toujours croissant des chercheurs d’or sur un sol d’abord improductif a enfiévré la lutte pour l’existence au point que ces mineurs constituent de véritables sociétés de criminels.

Cependant l’accès de ces lieux équivoques est libre et l’on en peut sortir quand on veut. En d’autres termes, la production de l’or est moralement, légalement admise, même au delà du district minier, et l’on n’est pas définitivement taré pour avoir produit de l’or.

Il en va tout autrement en Mandchourie, pays qui, il y a un an, était encore officiellement chinois. La loi chinoise, en effet, dont les principes remontent aux grands empereurs mongols du xiiie siècle, défend et sous peine de mort de « fouiller la terre en vue de lever des trésors ». Tant de rigueur tient autant à la morale bouddhique qu’à la raison d’État.

Le bouddhisme tibétain, imposé en Extrême-Orient par ces empereurs mongols, enseigne l’indifférence à l’endroit des conditions de la vie. Les vœux de pauvreté et de chasteté que le christianisme adopta ont été une règle acceptée par le clergé bouddhique et il la fit subir au