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« L’élément chômage, dit M. Hector Depasse, membre du Conseil supérieur du travail, fait partie essentielle de la constitution du travail ; le chômage n’est pas en dehors du travail ni contre lui, il est avec lui et en lui ; il est un élément constitutif et reproducteur du travail même. »

C’est là une vérité de fait qui ne peut échapper à aucun observateur attentif. Aussi les grands industriels se montrent-ils sceptiques à l’endroit des palliatifs et des remèdes préconisés contre ce phénomène universel qui « affecte des allures constantes et générales, comme si c’était un phénomène de la nature, et qui peut venir frapper les familles des travailleurs — du bout du monde. »

En 1894, au congrès des Catholiques allemands à Cologne, un industriel, M. Vogeno proclamait que le chômage est dû au système économique actuel :

« C’est, a-t-il dit, le résultat naturel du système de production moderne. Par suite de la concurrence illimitée et de la crise industrielle, le chômage, qui n’était jadis qu’une épidémie éclatant à chaque période de dix ans, est devenu de nos jours une maladie chronique. Nous ne devons pas nous borner à combattre le phénomène dans ses effets, mais à écarter les causes qui le produisent [1]. »

Certains économistes, il est vrai, les théoriciens du libre-échange, attribuent le développement du chômage aux tarifs douaniers : ils prétendent que « c’est parce que les marchés se rétrécissent de plus en plus que les crises surviennent à l’improviste. »

Si cela était vrai, il n’y aurait jamais eu de chômage en Angleterre qui a été libre-échangiste jusqu’à ces dernières années. Or on sait que les lock-out (ou grèves patronales) causées par des crises de surproduction sont fréquentes dans ce pays. D’ailleurs, même sous un régime de libre-échange absolu le chômage existerait au même degré, car la consommation n’est pas illimitée, et comme la production machiniste est abondante et rapide, il doit y avoir forcément arrêt de la production, c’est-à-dire arrêt du travail : chômage.

On conçoit maintenant que ce phénomène bouleverse la société jusque dans ses fondements et qu’il fasse naître les théories les plus extravagantes, les systèmes les plus chimériques, les mouvements les plus incohérents et les plus contradictoires.

Déjà ces conditions d’existence nouvelle — crise du petit commerce, crise de la petite et de la moyenne industrie, disparition des métiers, encombrement forcé des carrières « libérales », c’est-à-dire chômages

  1. On devine que toutes les expériences d’assurances contre le chômage ont échoué ; celles qui paraissent avoir réussi sont des œuvres d’assistance comme les expériences de Berne et de Cologne. D’ailleurs à Saint-Gall, en novembre 1896, un vote populaire décida que la caisse de chômage cesserait d’exister ; les ouvriers qui chômaient le moins se plaignaient de payer pour ceux qui chômaient le plus : la pauvreté se dépouillait pour l’indigence.