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Le nombre des chemineaux, des nomades errant de village en village s’accroît dans de telles proportions que le législateur commence à s’inquiéter sérieusement et à réclamer des mesures énergiques. M. Jean Cruppi, par exemple, veut distinguer dans le vagabond le paresseux (le paresseux forcé) d’avec le malheureux. Rien de plus superficiel et de plus fantaisiste que cette distinction [1].

« Les dernières statistiques criminelles, lit-on dans un rapport de M. de Marcère, révèlent que les affaires de vagabondage suivies ou non, atteignent en un an le chiffre de 39 500. D’autre part, une enquête ouverte en 1895, sur les abris communaux a fait ressortir que 466 000 individus avaient, au cours d’une année, passé la nuit dans les abris ruraux. Enfin en 1895 l’ordre fut donné à la gendarmerie d’interpeller le même jour sur toutes les voies de communication, les individus inconnus dans les régions qu’ils parcouraient, de les interroger, de relever leurs papiers d’identité, leur état civil, leur profession et de procéder à une sorte de dénombrement de cette population vagabonde. Beaucoup d’isolés échappèrent à ce recensement, la gendarmerie devant porter ses investigations surtout sur les individus voyageant en bandes et accompagnés de roulottes (autant dire la minorité) ; néanmoins, on peut constater qu’ils étaient au nombre de 25 000. »

Et l’on ne comptait pas les 100 000 (chiffre officiel) de Paris, et ceux de Marseille, de Lyon, de Bordeaux, etc., etc. L’augmentation du nombre des vagabonds est d’ailleurs caractéristique de tous les pays de civilisation industrielle avancée. En Angleterre, le président du Local Government Board, haut fonctionnaire qui a dans ses attributions un grand nombre de celles qu’exerce notre ministre de l’Intérieur, a envoyé, le 25 février 1896, à tous les bureaux des pauvres une circulaire pour se plaindre de l’accroissement du nombre des vagabonds. Une enquête avait démontré qu’en dix ans il avait doublé. Ajoutons que ce fonctionnaire recommande aussi d’appliquer aux vagabonds la cellule toutes les fois que cela est possible, « parce qu’il n’y a que la cellule qui puisse les intimider… »

« À la dernière assemblée du Conseil supérieur des prisons (1897) dit M. Voisin, conseiller à la Cour de Cassation, il a été fait par M. le Directeur de l’Administration pénitentiaire une communication très rassurante au point de vue de l’exécution de cette loi (la loi de 1875), car, en 1898 nous aurons, en plus, de 400 à 500 cellules. »

Tel est, pensent ces messieurs, le remède au chômage.

CONCLUSIONS

Il est donc démontré que le chômage n’est pas un « accident » comme autrefois. Il ne se produit pas à intervalles éloignés : il sévit d’une façon permanente. Il est fonction de la machine. Il est inévitable, irrémédiable. Il est un des anneaux de l’évolution.

  1. « Là sera l’éternelle difficulté : distinguer l’homme manquant de travail sans sa faute de celui qui en manque parce qu’il n’en veut pas trouver. » (Hubert-Valleroux, Économiste français, 4 juin 1898.)