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son sang ne fit qu’un tour. Markheim resta debout, frémissant. Un pas montait l’escalier lentement et régulièrement ; bientôt une main se posa sur le bouton, le loquet cliqueta et la porte s’ouvrit.

La terreur étreignait Markheim comme un étau. Il ne savait qui attendre, du mort marchant ou des ministres officiels de la justice humaine ou de quelque témoin de hasard entrant à l’improviste pour l’envoyer à la potence. Mais quand un homme passa son visage dans l’entrebâillement de la porte, jeta un coup d’œil circulaire dans la pièce, le regarda, fit un signe, eut un amical sourire de reconnaissance, puis se retira fermant la porte derrière lui, il ne put contenir sa terreur et jeta un cri rauque. À ce bruit le visiteur revint.

— Vous m’avez appelé ? demanda-t-il d’un air aimable en entrant dans la pièce et en fermant la porte derrière lui.

Markheim debout le regardait de tous ses yeux. Peut-être sa vue était-elle trouble, mais la silhouette du nouveau venu semblait changer et trembloter comme celle des idoles à la lumière vacillante de la bougie dans la boutique ; par moments il lui semblait le connaître ; par moments il croyait discerner sa propre ressemblance ; et toujours, comme un fardeau de vivante terreur, il avait au fond du cœur la conviction que cette chose n’était ni de la terre ni de Dieu.

Et cependant le visiteur avait un air étrange de banalité en regardant Markheim avec un sourire ; et quand il ajouta : « Vous cherchez l’argent, je crois ? » ce fut dit d’un ton de politesse courante.

Markheim ne répondit rien.

— Je dois vous avertir, reprit l’autre, que la bonne a quitté son amoureux plus tôt qu’à l’ordinaire et qu’elle sera bientôt ici. Si on trouve M. Markheim dans cette maison, je n’ai pas besoin de lui dire quelles seront les conséquences.

— Vous me connaissez ? s’écria l’assassin.

Le visiteur sourit.

— Vous êtes un de mes favoris, dit-il, je vous observe depuis longtemps, et souvent j’ai cherché à vous aider.

— Qui êtes vous ? le diable ? cria Markheim.

— Qui que je sois, cela n’a rien à voir avec le service que je veux vous rendre, répliqua l’autre.

— Si, cria Markheim, beaucoup ! Être aidé par vous ! Non jamais ; pas par vous ! Vous ne me connaissez pas encore ; grâce à Dieu, vous ne me connaissez pas !