— Vous voulez bien, monsieur le commissaire de police, me demander quels sont mes moyens d’existence. Je ne saurais mieux reconnaître la sollicitude dont vous m’honorez qu’en vous donnant un compte fidèle des principales circonstances de ma vie. Il en est d’autres que j’aime mieux vous laisser ignorer. Né de parents riches mais honnêtes, je reçus une bonne éducation ; et certes j’aurais pu, avec ce que les bourgeois appellent de la conduite, arriver à une situation enviable, si mes penchants naturels ne m’avaient peu à peu dirigé vers d’autres voies. Je ne suis pas paresseux, non ; mais le travail m’a toujours réellement fatigué. Ma nonchalance et mes prodigalités causèrent aux miens un désespoir que je ne pus supporter. Je quittai la maison. Peu après ma famille fut ruinée. Cela acheva de me brouiller avec elle. Je m’amusai. Je jouai. Je gagnai d’abord, puis je perdis jusqu’au jour où, las de laisser mon or sur les tables du cercle, j’appris l’art de corriger adroitement les inconstances de la dame de pique. Le malheur voulut qu’un me surprît un soir à tenir dans ma main des cartes biseautées. Je réalisais justement, cette nuit-là, de jolis bénéfices. Il n’en fallut pas davantage pour qu’on m’accusât de tricher. En un clin d’œil je fus conduit à la porte. Je réussis à pénétrer d’autres cercle d’où l’on m’expulsa assez vite. Je me trouvai ainsi sans travail.
Je possédais quelques louis. J’en empruntai quelques autres à fonds perdus. Ces ressources n’étaient point suffisantes. Il me fallut chercher à m’occuper. Problème difficile. Je n’étais bon à rien. Il me fut cependant impossible de me faire nommer sous-préfet. Restaient le commerce ou les administrations. On m’offrit de me prendre comme placier : je songeai aux courses dans Paris, dans la pluie ou dans la boue, si pénibles pour qui n’aime point salir son pantalon, aux escaliers à gravir dans les trop nombreux immeubles où d’avares propriétaires ont négligé d’installer l’ascenseur, aux démarches qui répugnent aux âmes vraiment nobles, aux rebuffades dont s’effaroucherait ma fierté, à toute cette vie de fièvre et de sollicitation ; ma dignité n’aurait pu s’en accommoder. Les emplois de bureau ne m’alléchaient point davantage : c’était l’esclavage, l’ergastule, le monotone alignement des chiffres, les taches d’encre sur des mains naguère immaculées ; la poussière des paperasses me saisissais d’avance à la gorge et je me sentais déjà m’étioler dans la place de scribe que d’ailleurs je n’avais pu encore trouver.
Je restai ainsi quelque temps dans l’indécision. On ne s’imagine pas combien il est difficile de choisir une carrière quand aucune ne vous séduit. Cependant le problème de l’existence se compliquait pour moi Quelques-unes de ces dames qui ne se lassent pas de revoir, sans les regarder, les ballets de l’Olympia ou des Folies-Bergère me firent