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naissance qui devait partir de Maintirano, point de la côte occidentale de Madagascar.

À bord du Peï-ho, les disciplinaires, ayant découvert dans la cale du navire des provisions de tabac, de chocolat et autres vivres, y puisèrent quelque supplément à leur maigre ordinaire. Les gradés s’en aperçurent et descendirent dans l’entrepont, le revolver au poing. Les cris, le tumulte, la lutte firent intervenir le commandant du bord ; les gradés réclamèrent les barres de justice pour embrocher[1] les disciplinaires ; quelques-uns parlèrent « de brûler la gueule ». Le capitaine indigné fit rentrer les revolvers, signifia que lui seul était maître à son bord et qu’il ne souffrirait pas qu’on torturât ou menaçât des hommes sur son navire, qu’après tout les disciplinaires n’étaient coupables que d’avoir satisfait leur faim. Lorsque le détachement arriva à Majunga, il déclara au commandant de place qu’il ne voulait plus à son bord de pareilles « brutes », de tels « sauvages » ; qu’il lui était égal de transporter les disciplinaires, mais qu’il ne voulait des gradés à aucun prix.

Le détachement débarqua donc à Majunga, où il resta deux jours, après quoi il se rembarqua sur le croiseur Fabert, pour aller à Maintirano où il ne resta qu’un jour.

La colonne fut alors formée. Elle fut transportée en pirogue jusqu’à Ademba, où elle stationna un jour ; après quatre jours de marche, elle atteignit le dépôt de Ben-Alitz, où pestèrent les hommes les plus impotents. Les cinquante hommes restants montèrent au poste d’Andjia, où vingt hommes campèrent ; les autres constituèrent le poste de Vakariano, à deux jours de marche d’Andjia.

Le manque de bourdjanes (porteurs indigènes) força les disciplinaires à transporter eux-mêmes leur chargement : flanelle, chemises, couverture, toile de tente, complet de treillis, vareuse, fusil, quinze paquets de cartouches, et vivres.

À huit ou dix kilomètres d’Ademba, sur la route de Ben-Alitz, le fusilier Millot, qui marchait difficilement, perdit la colonne : on n’entendit plus jamais parler de lui.

Au troisième jour de marche, avant d’atteindre Andjia, quatre fusiliers, — parmi lesquels nous pouvons citer le fusilier Loubière, cordonnier du détachement, n’ayant plus que quatre mois de service à faire, — se perdirent dans les mêmes conditions inutile d’ajouter qu’aucune recherche ne fut faite pour retrouver ces hommes.

Le rapport qui annonçait à la deuxième compagnie la constitution de la colonne, demandait des hommes aptes à subir les plus dures fatigues et les plus grandes privations, ce qui n’empêcha pas le capitaine de faire sortir de l’hôpital le disciplinaire Plaisant, qui fut transporté à bord en civière et mourut pendant la traversée. Lorsqu’on entend le récit de ce que subirent les disciplinaires, on est étonné qu’il en soit revenu un seul, et on juge qu’il eût été plus franc que l’autorité militaire deman-

  1. Mettre aux fer.