— Pourtant, dis-je, nous avons vu tous les Juifs indignés par l’injustice obstinée commise à l’égard d’un des leurs ; ce n’est que par le secours des socialistes qu’ils ont fait triompher la vérité. Il est juste que, tôt ou tard, ils leur rendent l’aide qu’ils en ont reçue.
— Ce qui manque le plus au socialisme, observa Du Coudray, c’est l’argent. Mis au service du socialisme international, le capital juif ferait assurément de grandes choses.
— Et je crois aussi qu’il fera de grandes choses, dit Goethe, d’ici cinquante ou cent ans. Mais il est essentiel d’observer que si les Juifs interviennent dans la lutte sociale, ce ne sera pas parce que le capitaine D…, juif, a été mis au bagne injustement, mais bien pour obéir à leur instinct, à la loi naturelle de leur race.
— Il faut croire, en tout cas, répondit Soret, que cet instinct ne s’est pas encore clairement révélé dans la société juive de la finance. Lors de mon dernier voyage à Paris, j’ai fréquenté d’assez près tous ces gros banquiers. Votre prophétie les surprendrait fort. Le seul changement que j’aie observé en eux, c’est qu’ils étaient orléanistes avant l’Affaire D…, et qu’ils sont bonapartistes maintenant. Sans doute jugent-ils qu’un pouvoir plus fort les garantirait mieux des violences, et puis le Duc s’est laissé entraîner à des paroles, à des alliances imprudentes, dont le Prince s’est soigneusement gardé. Chez maint potentat de la Bourse on trouve, maintenant, en bonne place, le Mémorial de Sainte-Hélène, et les moulages du docteur Antommarchi.
— La vie de la race ne siège pas là, répondit Goethe. Cherchez-la parmi les prolétaires, chez les artisans habiles, chez les jeunes gens laborieux et généreux de la petite bourgeoisie. C’est de là que monte la sève.
D’ailleurs, tels qu’ils sont, les millionnaires juifs de la finance ne seraient point les adversaires obstinés de la Révolution. Ils ne sont point dangereux pour elle, quoi qu’ils en pensent. Ils céderaient les premiers ; ils céderaient dès qu’ils sentiraient la résistance inutile. C’est un des caractères de la race. Elle est clairvoyante ; elle sait prévoir. Accoutumée au danger, dressée par la persécution, elle perçoit avec un flair presque animal l’approche des cataclysmes révolutionnaires. Et comme elle fut toujours la plus faible, elle a appris à ne pas lutter contre les grands courants de l’histoire. C’est une grande vertu. Ne dussent-ils qu’en donner l’exemple, les Juifs joueraient par cela seul un rôle essentiel dans la destinée prochaine de l’humanité. Songez-y : ce qui fit sanglante la Grande Révolution ce fut précisément l’impuissance des privilégiés à discerner en elle une force nécessaire, leur manque d’obéissance à l’inévitable, la résistance en pure perte, par point d’honneur. Nous qui souhaitons pacifique la Révolution prochaine, c’est peut-être à l’opportunité de l’abandon juif que nous devrons cette joie.
Les Juifs sont résignés. Ils ont supporté la dispersion, l’esclavage, la vie ingrate, le mépris, et, pendant tant de siècles, le labeur obscur perdu à des tâches imposées. Je crois qu’ils ne regretteront pas longtemps leur or. Ils se résigneront à la perte de leurs biens comme ils se sont résignés