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d’une morgue sèche, impeccable et concentrée, qui rebutait. D’autre part, on réservait pour cette carrière tous les jeunes gens bien doués, ce qui constitue une pratique absurde. Les dons supérieurs de l’intelligence sont nécessaires au marchand, à l’industriel, au boutiquier, dans toutes les carrières où l’homme dépend de lui seul et porte seul le poids de ses résolutions ; ils ne sont d’aucun service au bureaucrate, civil ou militaire ; ils lui nuiraient plutôt. Pour réussir dans les fonctions publiques il suffit précisément de ces qualités moyennes de docilité, d’exactitude et de modestie que l’on réserve aujourd’hui pour la boutique ou pour l’atelier.

Réjouissons-nous donc pour les jeunes Juifs, a dit Goethe, si, même par l’effet d’actes fâcheux et de passions méprisables, ils sont rendus à leur droit chemin. Leur nature vraie sera sauvegardée ; ils connaîtront cette joie de l’indépendance qu’une mauvaise distribution sociale refuse le plus souvent aux êtres supérieurs. Mieux adaptés à leur tâche, ils se trouveront plus libres et plus heureux ; ils pourront s’apprêter, avec une confiance joyeuse, au rôle que leur réserve l’avenir.

Nous sommes remontés dans le cabinet de Goethe, où se trouvaient Du Coudray et Soret, et la conversation est devenue générale :

— J’ai entendu, dit Goethe, le plus éloquent des Français discourir sur le rôle des Juifs dans le monde. J’ai retenu une expression magnifique, dont il se servit : « Ce sont, disait-il, les grands spoliés de l’histoire. » Ils ont imaginé le prophétisme qui se retourna contre leur race : ils ont créé le capitalisme qui veut aujourd’hui leur ruine ; ils ont inauguré l’internationalisme que demain les socialistes réaliseront.

— Certains historiens ne pensent-ils pas, demanda Soret, que la franc-maçonnerie, dont l’influence sur les révolutions du siècle dernier paraît prépondérante, fut organisée, à son début, vers l’époque de la Renaissance, par des rabbins cabbalistes.

— Je l’ai entendu soutenir, répondit Goethe. Mais, à mon sens, ce n’est encore qu’une hypothèse, plausible sans doute, mais insuffisamment vérifiée.

— Et sans doute, demanda Soret, vous estimez que l’action de la race juive sur les destinées de ce monde n’est pas épuisée.

— En effet, répondit Goethe, je pense ainsi.

— Dans quel sens cette action doit-elle, selon vous, s’exercer ?

— On ne peut pas hésiter, dit Goethe. À portée de nos mains, il n’est pas beaucoup de grandes tâches. Notre société vermoulue s’écroule. Un effort collectif ne peut plus guère s’employer qu’à en étayer les murs qui branlent ou à les ruiner à jamais.

— El vous pensez que les Juifs auront une part dans la destruction de La société présente, dans l’édification d’une société nouvelle ?

— Oui.

— Apparemment, cette prévision vous est inspirée par l’affaire D…

— Non. dit Goethe en souriant et en hochant la tête ; nullement.