assez de penser à eux-mêmes. S’ils triomphent, leur victoire passera bientôt sur la tête des Juifs, qui ne les gênent guère en réalité, alors qu’ils ont à détruire tant d’institutions dangereuses ; les lois scolaires, les droits sur les congrégations, le mariage civil et le divorce leur importent bien autrement que Rothschild. Goethe a encore envisagé la question d’un autre point de vue. Supposons une révolution en France, a-t-il dit. Si elle amène au pouvoir un gouvernement capitaliste, quel qu’il soit, empire, royauté ou dictature, il ne pourra se passer du capital juif. Si de la révolution au contraire doit émerger l’État collectiviste, eh bien ! les Juifs ne seront pas plus dépouillés que les autres par la commune expropriation.
J’ai été frappé de ces arguments, mais je ne pouvais m’empêcher de penser qu’en attendant ces officiers démissionnaires étaient fort à plaindre. Je le dis à Goethe. Qui nous garantit, ajoutai-je, que demain il n’en sera pas de même pour les magistrats, pour les préfets… ? Où sera la liberté promise aux hommes, l’égalité garantie entre les citoyens ?
— Puisque cette question vous tient à cœur, a répondu Goethe en souriant, je vous dirai franchement toute ma pensée. Ces fonctionnaires, civils ou militaires, ont choisi leur carrière à leur gré ; ils l’ont embrassée librement. Dès lors ils doivent subir, sans s’étonner, des événements qui en sont la suite même. Qui ne sait, en entrant dans les fonctions publiques, qu’il sera courtisé ou méprisé de ses camarades, pour des motifs où le mérite personnel n’entre pour rien ? Ces officiers juifs s’étonnaient-ils autrefois d’être adulés s’ils étaient riches et prêtaient aux autres leurs beaux chevaux, ou s’ils étaient bien en cour et influents près du ministre ? Non, ils trouvaient cela naturel. Il n’est pas plus extraordinaire qu’on se détourne d’eux à présent. Si ces messieurs souhaitaient d’être considérés selon leur valeur individuelle, ils n’avaient qu’à choisir un autre milieu et une autre vie.
De même pour l’avancement. L’avancement est toujours accéléré ou retardé pour d’autres raisons que l’intelligence et l’aptitude professionnelle. Il y a trente ans, dans les fonctions publiques de tout ordre, les conservateurs prospéraient, il y a quinze ans les républicains, aujourd’hui les ralliés sont les maîtres ; mais le sort du fonctionnaire est entraîné toujours par ces courants généraux qui se contrarient et se succèdent. Cela est dans l’ordre. Vos amis l’ignoraient-ils ? Non, mais probablement ils se disaient tout bas qu’ils sauraient bien nager jusqu’au bout dans le courant favorable… On doit pourtant savoir supporter la perte quand on aurait accepté le gain… Ces accidents entrent dans la définition même de la carrière qu’ils avaient choisie. S’ils n’étaient pas d’humeur à les supporter, qu’allaient-ils faire dans cette galère ?
Goethe a dit encore : Trop de Juifs s’étaient précipités à la fois dans les fonctions publiques ; il n’est pas mauvais qu’ils s’en écartent, fût-ce à leur corps défendant ; l’état du fonctionnaire s’adaptait mal aux caractères fondamentaux de leur race. Ils contractaient aisément l’habitude