Page:La Revue blanche, t24, 1901.djvu/26

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

alors à peu près seul. Elle peut tendre à la satisfaction de tous les sens simples ; — autre cercle, concentrique, mais plus vaste. Elle peut même s’acheminer à la suppression du malaise matériel (ô faux Européens !  ; — autre cercle encore plus vaste. Nous comprenons ainsi l’autre cas extrême : le point flue si vite, la volonté vers le but coule si torrentielle que la rotation, le retour régulier propre à la vie inconsciente, apparaît nul à côté ; — voilà le génie, voilà l’individu autonome, idéal de l’Européen. Enfin les cas intermédiaires, surtout celui où la vitesse de rotation est égale à la vitesse rectiligne, où le progrès est ralenti par l’incoercible retour de la vie sociale inconsciente, mais où pourtant la vie en son ensemble peu à peu s’élargit par l’impulsion non moins incoercible de l’activité vers un but ; — voilà l’homme qui vit sous les deux influences égales de « ce qu’il veut » et de « qu’il est » ; voilà la moyenne de l’homme, et presque le prototype de l’homme, l’homme le plus stable assurément, l’homme de l’Immuable Milieu, — voilà l’idéal chinois, l’essence même de l’âme chinoise.

Nous autres Européens, nous sommes presque un cas-limite de l’humanité, comme le Papou. C’est là notre danger.

V

Notre induction sur le caractère dynamique de la psyché chinoise est de tous points confirmée par l’aspect de la principale et de la plus directe de ses manifestations : la vie sociale. L’histoire sociale de la nation chinoise n’est, en effet, qu’une longue série d’oscillations par où l’énergie volontaire et l’inertie de l’existence ne cessent de s’équilibrer. La formule psychique de la civilisation chinoise est donnée dans le magnifique axiome de Lao-tse (qui l’énonce avec plus de perspicacité que Kong-tse) : « La Société, étant un système énergétique, ne peut être influencée par l’individu. »

L’individu n’a donc de valeur pour la Société (ou pour une unité sociale quelconque) que comme élément d’un système ; en dehors de cette condition, il est de valeur nulle, hors la société, hors l’humanité, criminel. Le propre du « système » étant la révolution régulière, dans laquelle incombe à chaque élément une fonction propre et déterminée, il s’ensuit que l’abandon par un seul élément de sa fonction particulière, rend impossible le fonctionnement de l’ensemble. Or, est-il en nécessaire que le fonctionnement d’un système comporte un but ? C’est peut-être un préjugé européen, car rien n’empêche de concevoir un système dont le fonctionnement n’aurait d’autre but que de maintenir ce fonctionnement même. En langage sociologique, ce serait l’unité sociale qui ne fait que se défendre contre sa propre désorganisation.

L’unité sociale chinoise est autre chose que l’unité sociale européenne. Étant donnée, chez nous, la tendance manifeste vers la dissolution, non