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IV

Ce point acquis, et les limites de la psyché chinoise ainsi tracées, sa structure se dessine facilement à l’aide de deux coordonnées que les faits mêmes nous fournissent : d’un côté, la loi fondamentale qui préside à la formation des combinaisons polysyllabiques ; de l’autre, la loi fondamentale qui préside à la formation des unités sociales. La première loi révélera immédiatement la nature des processus psychologiques qui caractérisent l’âme chinoise ; car, au cas où cette loi, linguistique et psychologique à la fois, ne serait pas générale, l’usage de la langue serait impossible. La seconde loi révélera directement la nature des faits dynamiques, des tendances propres à l’âme chinoise : car, au cas où cette loi ne serait pas spéciale à l’âme chinoise, cette dernière ne différerait en rien de l’âme de tout autre peuple, ce que la réalité dément.

I. — La loi fondamentale de la langue chinoise est la synthèse ascendante ; celle des langues européennes est l’analyse. Pour exprimer une idée, l’Européen constate, puis caractérise en ajoutant successivement la constatation des diverses circonstances ; le Chinois procède en remontant d’une circonstance à l’autre, de telle façon que chaque constatation enveloppe la précédente. Ainsi les processus logiques spéciaux aux Chinois présentent un caractère nettement synthétique. Le mouvement psychique ne s’opère, ni par induction, ni par déduction proprement dites, mais par le rapprochement de deux ou plusieurs phénomènes psychiques, entre lesquels le lien causal s’établit seulement par la différence d’ampleur de ces phénomènes. Le raisonnement part de l’idée la plus pauvre et s’achemine vers l’idée la plus compréhensive ; il va de l’accessoire à l’essentiel.

Cette curieuse particularité, qui distingue nettement le Chinois de l’Européen, est bien ce qu’on a coutume d’appeler la finesse d’esprit chinoise, ou bien aussi, la duplicité, l’ambiguïté, la fausseté, la ruse, l’insincérité… Autant de termes qui ne caractérisent pas l’âme chinoise, mais seulement le manque de compréhension de l’Européen.

La façon de prouver, de démontrer, de convaincre, doit être, et est, en chinois, tout à fait différente de celle dont use l’Européen. Il y aura pour le Chinois une série de constatations, là où pour l’Européen il y a conclusion d’un fait à un autre. Et tandis que, selon la logique européenne, on amène l’interlocuteur à comprendre un fait en analysant ou synthétisant pour lui les circonstances qui accompagnent ou composent ce fait, dans la logique chinoise on place l’interlocuteur en face du fait, et l’on juxtapose autour de lui une série de constatations, synthèses toujours élargies des mêmes circonstances. Ces circonstances peuvent bien être liées entre elles par un lien causal, l’énumération qui en est faite n’élucide en rien la genèse de l’idée ; celle-ci reste à se reconstituer par l’interlocuteur, qui s’y trompe facilement.