Mémoires d’un fou[1]
Ô l’infini, l’infini, gouffre immense, spirale qui monte du fond des abîmes aux plus hautes régions de l’inconnu, — vieille idée dans laquelle nous tournons tous, pris par le vertige, — abîme que chacun a dans le cœur, abîme incommensurable, abîme sans fond.
Nous aurons beau, pendant bien des jours, bien des nuits, nous demander dans notre angoisse : qu’est-ce que ces mots : Dieu — Éternité — Infini ? nous tournons là-dedans emportés par un vent de la mort, comme la feuille roulée par l’ouragan. On dirait que l’infini prend alors plaisir à nous bercer nous-mêmes dans cette immensité du doute.
— Nous nous disons toujours cependant : après bien des siècles, des milliers d’ans, quand tout sera usé, il faudra bien qu’une borne soit là.
Hélas ! l’éternité se dresse devant nous et nous en avons peur, — peur de cette chose qui doit durer si longtemps, nous qui durons si peu… Si longtemps !
Sans doute quand le monde ne sera plus (que je voudrais vivre alors,— vivre sans nature, sans hommes, — quelle grandeur que ce vide-là !), sans doute alors il y aura des ténèbres, un peu de cendres brûlées qui aura été la terre, et peut-être quelques gouttes d’eau, la mer.
Ciel ! plus rien, du vide,….. que le néant étalé dans l’immensité comme un linceul ! Éternité ! Éternité ! cela durera-t-il toujours ?… toujours… sans fin !
Mais cependant ce qui restera, la moindre parcelle des débris du monde, le dernier souffle d’une création mourante, le vide lui-même devra être las d’exister. — Tout appellera une destruction totale.
Cette idée de quelque chose sans fin nous fait pâlir. — Hélas ! et nous serons là-dedans, nous autres qui vivons maintenant — et cette immensité nous roulera tous. Que serons-nous ? Un rien, — pas même un souffle.
J’ai longtemps pensé aux morts dans les cercueils, aux longs siècles qu’ils passent ainsi sous la terre, pleine de
- ↑ Voir La revue blanche des 15 décembre 1900 et 1er et 15 janvier 1901.