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que la nullité civilisatrice des peuples qui se sont politiquement établis en Chine ; et s’il y a des phénomènes politiques au sein de la nation, ils ne sont jamais que la répercussion des phénomènes sociaux modifiant la carte administrative. Telle fut aussi la nature de la rébellion du Grand-Poing (Boxers). La valeur ethnopsychologique de ces faits politiques est donc nulle.

Pour les faits artistiques (la littérature exceptée), on pourrait conclure de même, pour une raison bien différente. En Chine, l’art religieux ainsi que l’art appliqué, pour caractéristiques qu’ils soient, constituent des manifestations psychologiques autrement complexes que chez les peuples primitifs (où ils reflètent toute la vie mentale, la littérature n’existant pas) et même chez les Européens (où du moins on peut aisément rétablir la connexité entre l’œuvre d’art et l’idée religieuse ou la destination pratique de l’objet). En Chine, l’art est le produit de deux éléments distincts : l’exubérance du sens symbolique, et la naïveté du sens de la nature. Et comme chacun de ces éléments (à plus forte raison leurs multiples mélanges !) ne s’explique que par des phénomènes sociaux, il est certes plus prudent d’étudier l’art chinois à l’aide de la psychologie, que la psychologie à l’aide de l’art chinois.

III

On dit que la langue est l’image la plus fidèle de l’âme d’un peuple. Ce lieu commun — comme tous les lieux communs — est superficiel en sa généralité. D’abord, il n’est pas du tout facile d’établir le caractère d’une langue. Si, le plus souvent, on le résume en un seul terme caractéristique, ce terme nécessairement demeure vague et ployable en tous sens. Cette méthode d’ethnopsychologie linguistique, en usage dans les salons, aboutit à des constatations de ce genre : « Le français coule pur comme de l’eau, donc le Français a l’esprit clair (on pourrait dire aussi bien qu’il l’a fluide, ou glacé…) ; l’anglais est peu articulé, donc l’Anglais est plat (ou bien a-t-il l’esprit sans articulations, c’est-à-dire droit ?) ; le russe… hum ! on n’en sait pas grand-chose, mais ne serait-il pas doux et riche ? et le Russe, par suite, ne serait-il pas aimable et versatile ? Le sanscrit est exubérant, — naturellement. Et puisque enfin le chinois est une langue monosyllabique, il est donc de toute évidence que le peuple qui le parle doit être renfermé, haineux, réactionnaire et stupide.

Or, le caractère d’une langue, et, par conséquent, sa signification ethnopsychologique, ne tient pas du tout à son apparence phonétique, ni même à son apparence logique, mais uniquement aux principes formatifs qui président à la construction des mots et des combinaisons de mots comme symboles d’idées. Quand il s’agit du chinois, la recherche et l’explication de ces principes est heureusement plus facile que pour toute autre langue, parce que ces principes diffèrent de ceux des langues européennes, plus que ceux de tout autre idiome ayant une histoire et une littérature.