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querait toujours quelque chose, qu’on ne saurait reconstruire à l’aide du milieu seulement : le résidu est ce qui ressortit non à la vie psychique de l’ensemble considéré, mais à celle de l’Homme en général, ou — ce qui revient au même — à celle de l’Individu.

La psychologie ethnique n’a donc un sens qu’à condition de s’enfermer dans l’étude des phénomènes directement collectifs ou qui sont devenus tels pour des raisons inconscientes. Faute de quoi, elle épuiserait son effort à rapiécer la bigarrure des velléités individuelles.

II

Ces règles de méthode s’appliquent, plus rigoureusement qu’ailleurs, à l’étude de la nation chinoise. Impossible de se fonder ici sur des données religieuses. Non, certes, qu’elles fassent défaut, mais elles sont tellement hétérogènes que, pour les comprendre, il faudrait, outre l’histoire, posséder d’avance… la psychologie du peuple chinois. C’est que ces croyances et les rites correspondants ne sont manifestement pas un produit de la vie psychique du peuple. Sous la forme où nous les connaissons, elles résultent de systèmes non chinois, ou de philosophèmes individuels, adaptés, après coup, aux besoins de la vie pratique ; il s’y mêle des débris d’un ancien chamanisme, d’une anthropomorphisation des phénomènes naturels, où la vie pratique ne pourrait plus s’encadrer. On ne saurait donc tirer de conclusions valables que de la façon dont cette adaptation et ce mélange se sont accomplis. Et, comme cette adaptation s’est faite au moyen de la langue et pour les besoins sociaux, comme ce mélange est résulté, d’une part, de paralogismes qui, comme toujours, ont une source linguistique, et, d’autre part, de l’indifférence que comporte une vie sociale intensive, à l’égard des idées pures et des esprits individuels, — les croyances du peuple chinois nous ramènent finalement à la langue et à la vie sociale.

Il suffit presque de se rappeler que la langue chinoise n’a pas de mot pour dire : « Dieu » — et que l’organisation de la vie se symbolise par le principe moral, non religieux, de l’Immuable Milieu, pour comprendre à quel point tout ce qui est religion en Chine, est néologisme au point de vue linguistique, et luxe au point de vue social.

Telle est la raison profonde du fabuleux insuccès des missions chrétiennes en Chine et de la haine populaire qui les poursuit. Au contraire, l’infiltration du bouddhisme, il y a quelque mille ans, s’est faite avec une merveilleuse facilité, quoique la difficulté des néologismes fût à peu près la même. Mais, à cette époque, c’est le peuple chinois lui-même qui, par besoin d’anthropomorphiser des principes éthiques, cherchait le bouddhisme et transcrivait lui-même, à l’aide de multiples calembours, la terminologie indienne en caractères monosyllabiques. Aujourd’hui, par contre, le peuple chinois ne ressent nullement le besoin d’anthropomorphiser des mystères issus en grande partie d’antinomies linguistiques spéciales à la famille indo-européenne. Il repousse donc avec mépris le