Page:La Revue blanche, t24, 1901.djvu/120

Cette page n’a pas encore été corrigée

(— Voilà que tu vas devenir bête, dit un des auditeurs en m’interrompant.

— D’accord, mon cher, le cœur est stupide.)

L’après-midi, j’avais le cœur rempli d’une joie douce et vague ; je rêvais délicieusement en pensant à ses cheveux papillotés qui encadraient ses yeux vifs, et à sa gorge déjà formée que j’embrassais toujours aussi bas qu’un fichu rigoriste me le permettait. Je montai dans les champs ; j’allai dans les bois, je m’assis dans un fossé et je pensai à elle.

J’étais couché à plat ventre, j’arrachais les brins d’herbes, les marguerites d’avril, et, quand je levais la tête, le ciel blanc et mat formait sur moi un dôme d’azur qui s’enfonçait à l’horizon derrière les près verdoyants ; par hasard, j’avais du papier et un crayon : je fis des vers…

(Tout le monde se mit à rire.)

…Les seuls que j’aie jamais faits de ma vie. Il y en avait peut-être trente ; à peine pris-je une demi-heure, car j’eus toujours une admirable facilité d’improvisation pour les bêtises de toute sorte. Mais ces vers pour la plupart étaient faux comme des protestations d’amour, boiteux comme le bien.

Je me rappelle qu’il y avait :


…quand le soir
Fatiguée du jeu et de la balançoire…


Je me battais les flancs pour peindre une chaleur que je n’avais vue que dans les livres ; puis, à propos de rien, je passais à une mélancolie sombre et digne d’Antony, quoique réellement j’eusse l’âme imbibée de candeur et d’un tendre sentiment mêlé de niaiserie, de réminiscences suaves et de parfums du cœur, et je disais à propos de rien :


Ma douleur est amère, ma tristesse profonde,
Et j’y suis enseveli, comme un homme en la tombe.


Les vers n’étaient même pas des vers, mais j’eus le sens de les brûler, manie qui devrait tenailler la plupart des poètes.

Je rentrai à la maison et la retrouvai qui jouait sur le rond de gazon. La chambre où elles couchaient était voisine de la mienne, je les entendis rire et causer longtemps, tandis que moi… je m’endormis bientôt comme elles, malgré tous les efforts que je fis pour veiller le plus possible. Car vous avez fait sans doute comme moi à quinze ans, vous avez cru une fois aimer de cet amour brûlant et frénétique, comme vous en avez vu dans les livres, tandis que vous n’aviez sur