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se permet — on ce n’est pas nous — vis-à-vis des princes en exil. M. Wilde, au cours de ses paradoxes et paraboles, contait l’histoire du roi et du mendiant. J’espère que M. Jean Lorrain la contera un jour et je ne veux pas déflorer sa copie. M. Wilde ajoutait : « J’ai été roi, je veux être mendiant ». Il se flattait de se vêtir de velours à côtes, comme M. Lorrain, jadis, à cette fin de l’imiter une fois. Mais, malgré de bonnes adresses, il resta jusqu’au dernier jour élégant et confortable, authentiquement anglais de complet — et il ne mendia pas.

Ç’aurait été une vie nouvelle, cette vie que la destinée lui refusait… Il nous faudrait ici des mots se précipitant, une fuite d’espoirs, de verbe, de sourires, une chute frénétique de phrases, d’onomatopées dans une monotonie d’existence atroce et momifiée pour montrer le poète qui s’éteint, qui ne se résigne pas mais qui se livre et qui craint la mort au jour le jour, pour les hommes — en l’appelant d’égal à égal en sa chambre étroite d’un hôtel gris. Il a été à la campagne et en Italie, il veut l’Espagne, il veut retourner au bord de la Méditerranée : il n’a que Paris, Paris fermé à mesure, Paris qui ne lui offre plus que des trous où boire, un Paris sourd, un Paris affamé, hâtif, congestionné ici, pâle là, une ville sans éternité et sans mythe. Chaque jour lui apporte des souffrances : il n’a plus ni cour ni vrai ami, il tombe dans la pire neurasthénie. La gêne le harcèle : la pension de dix francs par jour que lui sert sa famille ne s’augmente plus d’avances d’éditeurs : il lui faut travailler, écrire les pièces qu’il a signées, par traité — et il lui est impossible de se lever avant trois heures de l’après-midi. Il ne s’aigrit pas, il s’achève : il s’alite un jour sous ce prétexte que, dans un restaurant, des moules l’ont empoisonné : il ne se relève plus que mauvaisement, avec une arrière-pensée de mort dont il mourra. Il conte alors toutes ses histoires à la fois : c’est l’amer et éblouissant bouquet d’un feu d’artifice surhumain. Ceux qui l’ont entendu au terme de sa vie dévider l’écheveau des ors et des pierreries tissés, des fortes subtilités, de l’invention psychique et fantasque dont il devait coudre et peindre la tapisserie de ses drames et de ses poèmes futurs, ceux qui l’ont vu nonchalamment et fièrement tenir tête au néant et tousser ou rire ses dernières phrases, garderont le souvenir d’un spectacle tragique et hautain, d’un damné impassible qui ne veut pas périr tout entier.

C’était le temps où la Nature, bienfaisante une dernière fois à celui qui avait eu l’air de la nier, lui avait ramassé toutes