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De quelques romans étrangers


La mode est aux traductions de romans étrangers. La France se renseigne, et il semble qu’elle le fasse avec avidité. C’est une naissance multiple et simultanée de traductions. Si les races humaines ont pullulé un beau matin, d’un fait de génération spontanée, sur les hauts plateaux du vieux monde, le moyen de nous figurer ce soudain et colossal grouillement, c’est de voir sous nos yeux éclore les traductions. Aux portes de la douane intellectuelle, aux portes trouées dans notre muraille de France, sous l’œil bienveillant des gardes jadis si renfrognés, à la joie et avec l’aide des anciens cerbères de nos traditions, c’est une cohue de moujiks en chemises rouges, psychologues naïfs et raffinés, de graves docteurs Scandinaves flanqués de leurs pasteurs tout de noir vêtus. De bouillants lazzarones irruent avec des flots de paroles sonores, de graves Castillans passent à leur suite. Il y a des clergymen, des authoresses à lunettes bleues, sans doute à voiles verts, aussi, et d’autres plus jeunes et plus dernière mode. Il en arrive d’Australie, il en débouche du Cap, on en amène de l’Inde. Les Yankees apportent des échantillons de leur humour, amalgame précieux fait avec l’humour de tous les pays, de toutes les races diverses qui se sont mêlées en eux, venant du Vieux Monde, et tous ces humours ont donné un dosage nouveau où parfois l’on fait entrer quelques reflets du sourire silencieux de l’indien refoulé, du Mohican. Quelques Allemands viennent arguer du goût vif que ressent pour eux l’élite berlinoise ; des professeurs ont amené des Croates ; il est venu un Roumain en petite tenue militaire qui a croisé un Bulgare ; un Polonais a triomphé avec éclat ; on s’avise de la Hollande ; les Magyars passementés habituent les oreilles françaises à leur nom.

Tous ces étrangers sont charmants, intelligents, parfois géniaux ; leur tort est d’arriver ainsi en horde pressée, tort bien involontaire ; on les a tous appelés en même temps, on les a tous élus. Ainsi va le monde aux rives de Seine. Au lieu d’avoir, invétérée, l’habitude de traduire les belles œuvres étrangères, de les traduire en leur temps, dans leur fraîcheur à mesure qu’elles paraissent, qu’elles se classent dans leur terre d’origine, on attend, on ferme, des années, les portes de la muraille, on se défend de tout contact littéraire étranger. Après une longue période d’isolement, on se dépêche à se mettre au courant. C’est la même ligne de conduite qui, après avoir tout refoulé de la musique extra-nationale, immobilise ensuite scènes et concerts au profit de la même musique. C’est le système de l’instruction par crises, et la recherche d’un frisson nouveau, par le détail du costume, du nom des personnages et du décor ambiant. Souvent, la douane passée, nous nous retrouvons, bien et dûment, en France.

Qu’y a-t-il, dans tout cet apport, de particulièrement intéressant ?