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Le roman inédit de Gustave Flaubert dont nous commençons la publication a été écrit vers l’année 1838 : l’auteur n’avait guère que dix-sept ans. Dans son souci de perfection, Gustave Flaubert — dont le premier livre imprimé, Madame Bovary, ne devait paraître qu’en 1857 — avait renoncé à publier ces pages juvéniles. Mais, aujourd’hui que vingt ans se sont écoulés depuis sa mort, il paraîtra licite qu’on les exhume, autant à titre de curiosité littéraire et de document sur les primes débuts d’un grand écrivain que pour leur caractère autobiographique.

Le manuscrit des « Mémoires d’un fou » appartient à M. Pierre Dauze, l’éminent directeur de la « Revue Biblio-iconographique », qui a bien voulu nous le communiquer.

[Le Poittevin]



MÉMOIRES D’UN FOU.


À toi mon cher Alfred,
ces pages sont dédiées et données.

Elles renferment une âme tout entière. Est-ce la mienne ? est-ce celle d’un autre ? J’avais d’abord voulu faire un roman intime, où le scepticisme serait poussé jusqu’aux dernières bornes du désespoir ; mais peu à peu, en écrivant, l’impression personnelle perça à travers la fable, l’âme remua la plume et l’écrasa.

J’aime donc mieux laisser cela dans le mystère des conjectures ; pour toi, tu n’en feras pas.

Seulement tu croiras peut-être, en bien des endroits, que l’expression est forcée et le tableau assombri à plaisir ; rappelle-toi que c’est un fou qui a écrit ces pages, et, si le mot paraît souvent surpasser le sentiment qu’il exprime, c’est que, ailleurs, il a fléchi sous le poids du cœur.

Adieu, pense à moi et pour moi.


I


Pourquoi écrire ces pages ? — À quoi sont-elles bonnes ? Qu’en sais-je moi-même ? Cela est assez sot, à mon gré, d’aller demander aux hommes le motif de leurs actions et de leurs écrits. — Savez-vous vous-même pourquoi vous avez ouvert les misérables feuilles que la main d’un fou va tracer ?

Un fou ! cela fait horreur. Qu’êtes-vous, vous lecteur ? Dans quelle catégorie te ranges-tu, dans celle des sots ou celle des fous ? — Si l’on te donnait à choisir, ta vanité préférerait encore la dernière condition. Oui, encore une fois, à quoi est-il bon, je le demande en vérité, un livre qui n’est ni