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Le cinquième mois, on célèbre la fête dite du Bateau-Dragon. Ce bateau est étroit et long. Il peut tenir cent hommes assis l’un derrière l’autre. Chacun d’eux manie une rame. Ceux qui se trouvent aux deux extrémités gouvernent l’embarcation, au centre de laquelle est placée l’idole locale du quartier ou du district.

Elle est installée sur un trône et abritée sous une ombrelle… Une bande de musiciens se trouve à bord de chaque bateau. Leur musique guerrière encourage les champions, tandis que le tambour scande les coups d’aviron. Aux vainqueurs, en guise de trophées, l’on distribue des bannières, qui vont orner le temple de l’idole locale.

Le huitième mois, on célèbre la fête de la Lune, qui correspond à la fête de la Moisson dans les pays occidentaux. L’on échange des présents, comme aux autres fêtes de saisons.

À mesure que la lune s’avance vers son plein, les Chinois y voient un homme qui grimpe à un arbre. La pleine lune est saluée de grandes cérémonies, et l’on passe en réjouissances la nuit où sa clarté apparaît la plus brillante.


IX
Contes et conteurs

Les Chinois aiment à la passion histoires et contes. Dans les rues, sur les promenades, des conteurs professionnels attroupent la foule de midi à minuit, et lui disent les exploits des héros ou les aventures tragiques d’un amoureux. Leur récitation a une puissance dramatique qu’on n’attendrait pas d’eux, à voir leurs allures apathiques, et leur physionomie stupide.

Toutes les classes se livrent à ce passe temps favori. Le lettré de haut grade prend autant de plaisir à écouter une bonne histoire, que l’enfant à qui sa mère réciterait un conte de fée.

En Chinois, la littérature d’imagination remplit plus de 10 000 volumes. Les sujets en sont historiques ou romanesques ; ils traitent de guerre, d’amour, de magie ou d’enchantement. Quelques-unes de ces légendes sont très belles et aussi intéressantes qu’un bon roman anglais. Il y a un livre qui fait les délices de toutes les classes : c’est l’Histoire des trois royaumes. C’est un roman historique en vingt volumes, orné de gravures sur bois. J’ai trouvé peu de livres anglais qui vaillent ce roman pour l’arrangement des détails, la conception des caractères et l’élégance du style[1]. C’est en quelque sorte un poème épique en prose. Quand j’étais en enfant, je savourais avec délices les passages qu’on m’en lisait ou qu’on m’en expliquait.

  1. Le San-Koué-Tchi (Histoire des Trois Royaumes) est le roman le plus célèbre de toute la littérature chinoise. Le sujet en est pris dans l’histoire d’une guerre civile qui dura cent ans (1682-65 de notre ère). C’est la longue révolte des Bonnets-Jaunes. Cette grande et magnifique épopée est à ce point populaire et sacrée en Chine, qu’un missionnaire, ayant pu en réciter un chapitre entier devant une foule qui allait le massacrer, eut la vie sauve et fut acclamé par le peuple.