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Les quakers et la Société des femmes du Canada leur vinrent en aide, de sorte que bientôt les immigrants eurent les bêtes de somme nécessaires.

L’organisation du travail des doukhobors fut l’œuvre de M. Krear, l’un des chefs de l’immigration. Grâce à lui, plusieurs centaines de doukhobors furent bientôt employés dans les compagnies de chemins de fer où ils gagnent, outre la nourriture, deux dollars et demi par jour.

Au mois de juin, un troisième convoi de doukhobors arriva à Québec : c’étaient les doukhobors de l’île de Chypre. Ils s’installèrent sur la rive droite du fleuve Assinie Boyine. Peu de temps après un quatrième bateau amenant deux mille doukhobors de la province de Korsk arriva. Ils s’installèrent à proximité de Swan River.

En résumé, la situation des doukhobors au Canada est la suivante. Au nombre de 7.000 environ, ils possèdent des terrains immenses, mais le manque de fonds fait obstacle à leur développement agricole. Les doukhobors avaient déjà adressé une demande d’argent au gouvernement du Canada, en offrant comme garantie les homesteads qu’ils occupaient, lorsque spontanément, deux particuliers, l’un anglais, l’autre américain, leur avancèrent l’argent nécessaire, sans autre garantie que leur parole.

Cet argent leur a été prêté pour un laps de cinq à six ans, moyennant un intérêt de 5 p. 0/0. Cet emprunt a permis aux immigrés d’acheter des bestiaux et de faire construire des maisons ; ils ont déjà fondé trente-six villages.

Ainsi la question des doukhobors est à peu près résolue, et il n’en reste plus beaucoup au Caucase.

Les doukhobors ont gardé leurs habitudes, leurs mœurs et leurs doctrines évangéliques et pures. Un fait, qui est récent, en peut donner une idée. Des enfants doukhobors et anglais jouaient ensemble : l’un des jeunes doukhobors bouscule un petit Anglais ; celui-ci, tout en pleurs, court à la maison, tandis que les petits doukhobors se sauvent, sauf un seul, un enfant de dix ans qui n’avait pas pris part au jeu. Le père du petit Anglais se précipita sur cet enfant, qu’il croit le coupable, et lui donne un si violent coup de pied qu’il le tue net. Il fut arrêté le soir même… La commune des doukhobors à laquelle appartenait la victime adressa aussitôt aux autorités la pétition suivante :

« Par cette requête, nous demandons que l’homme qui a tué l’enfant ne soit pas puni. Nous sommes sûrs qu’il souffre déjà dans son cœur, et nous le plaignons, car nous aussi avons perdu la tranquillité et avons souffert dans notre cœur. Déjà un enfant est mort et l’idée nous est insupportable que sa mort doive être rachetée par une autre vie humaine. »

N’est-ce pas là une belle introduction à un nouveau droit criminel ?

W. Bienstock