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l’histoire, le chemin parcouru se présente comme une série d’échelons superposés dont le premier marque le niveau de la vie animale et le dernier, le plus haut sommet où puisse atteindre, à ce moment donné, la conscience de l’homme. Tous les individus, tous les groupements humains, ethnographiques ou politiques, ont toujours suivi ou suivent encore cette route ascendante. Il y en a qui marchent en avant, d’autres se traînent en arrière, au milieu s’avance le plus grand nombre. Mais tous, à quelque degré qu’ils soient parvenus, sont poussés par une force inéluctable, irrésistible vers les échelons supérieurs. Et toujours, à quelque moment qu’on le considère, quelle que soit la place qu’il occupe, en avant, en arrière ou au milieu du cortège, chaque individu, chaque groupement humain se trouve dans trois situations différentes par rapport aux trois échelons d’idées les plus rapprochés de lui.

Pour chaque individu et pour chaque groupement, il y a toujours les idées du passé, les idées surannées et devenues comme étrangères auxquelles les hommes ne peuvent plus revenir.

Telles sont, par exemple, pour notre monde chrétien, les idées qui rendraient possibles l’anthropophagie, l’enlèvement des femmes, le pillage publiquement accepté et d’autres traits de mœurs dont il ne reste plus que le souvenir.

Il y a les idées du présent qui dirigent la vie des hommes et que ceux-ci reçoivent de l’éducation, de l’exemple, du spectacle de toute l’activité qui les entoure. Je citerai, pour notre époque, les idées relatives à la propriété, à l’organisation de l’État, au commerce, à l’utilisation des animaux domestiques, etc.

Il y a enfin les idées de l’avenir dont quelques-unes, tout près d’être réalisées, forcent les hommes à modifier leur vie, à lutter avec les formes anciennes. Ce sont de nos jours les idées qui se rapportent à l’émancipation des femmes et du prolétariat, à la suppression de la viande dans l’alimentation, etc… Il faut aussi rattacher à ce groupe d’autres idées qui occupent déjà les esprits, mais ne sont pas encore entrées en lutte avec les formes anciennes de la vie : elles constituent ce que les hommes appellent l’idéal ; l’idéal, aujourd’hui, c’est l’abolition de la violence, la communauté des biens, l’unité religieuse du monde, la fraternité universelle.

Ainsi, chaque individu ou chaque groupement, quel que soit l’échelon qui le supporte, aperçoit toujours au-dessous de lui des idées mortes, des souvenirs du passé, au-dessus de lui l’idéal, les idées de l’avenir ; et sa conscience est le théâtre d’une lutte incessante entre les idées du présent, qui vieillissent et vont mourir, et celles de l’avenir qui naissent à la vie. Car il arrive ordinairement qu’une idée, qui était utile et même nécessaire à l’humanité, à la fin devient superflue : alors, après une lutte plus ou moins longue, elle cède la place à une nouvelle idée qui sort de l’idéal pour être une idée du présent.

Mais il arrive aussi quelquefois que des personnes, qui malgré leur petit nombre jouent un rôle très important dans la société, aient