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et, d’autre part, ils n’étaient pas en mesure de payer la garantie. Dans les milieux gouvernementaux, il y eut un homme politique qui lança un projet d’installation des doukhobors dans la Mandchourie, en vue de la russifier ; et, en même temps, commençait dans la presse russe, même la plus libérale, une campagne contre l’émigration des doukhobors, qui devait « compromettre la Russie aux yeux de toute l’Europe ». Les doukhobors envoyèrent à Londres télégramme sur télégramme, et, dans cette circonstance encore, les quakers agirent avec tant d’énergie qu’ils réussirent à faire abaisser la somme de garantie de 620 à 375 fr. par tête et obtinrent qu’une partie seulement de cette garantie fût versée comptant, et que tels et tels personnages éminemment solvables eussent la responsabilité du reliquat ; d’ailleurs, en trois jours, ils avaient recueilli 125.000 fr. et la garantie exigée par le gouvernement anglais fut versée dans ce délai.

Le 26 août, les 1.126 doukhobors débarquèrent à l’île de Chypre.

Le climat fut terrible pour eux : presque tous tombèrent malades ; 60 moururent. Au surplus, il y avait peu de terrain disponible : le départ des doukhobors avait été trop précipité, les préparatifs de réception, insuffisants. Ce fut d’abord la Compagnie coloniale, qui leur loua des terres ; mais elles étaient mal situées : ils durent les abandonner après y avoir dépensé d’assez fortes sommes. Il en fut de même pour une autre ferme qu’on leur loua ensuite. Désormais les doukhobors ne demandaient plus qu’à quitter l’île de Chypre.


II

L’émigration au Canada fut beaucoup plus heureuse.

Le comité avait beaucoup plus d’argent, et cet argent provenait en grande partie du dernier roman de Léon Tolstoï, Résurrection, qui fut traduit simultanément dans toutes les langues. D’ailleurs, la grande étendue des terrains inoccupés et leur bon marché, la qualité des terres de culture, l’abondance de l’eau et du bois, l’absence de toute demande de garantie, l’aide bienveillante donnée aux immigrés par le gouvernement local, la liberté politique, toutes ces considérations, jointes à la non-obligation du service militaire, devaient faire du Canada la terre promise des doukhobors.

Les pourparlers avec le gouvernement du Canada furent engagés par Khilkov et Mood qui étaient partis pour l’Amérique en avant-coureurs. Un immense territoire fut acquis de la Société des Chemins de fer du Canada qui fit aux doukhobors une remise de 50 p. 0/0 sur le prix des terrains. Le gouvernement paya à Mood, qui la versa à la caisse commune des doukhobors, une somme considérable pour lui avoir amené des émigrants. Dans ces conditions, il fut possible de transporter au Canada près de 4.000 doukhobors.

Un premier convoi de 2.060 personnes fit la traversée sur un bateau à vapeur loué à cet effet « Lake Huron » de la compagnie « Beaver Line ». Les dépenses pour le transport de ce premier groupe se répartirent ainsi :