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métaphysique n’étaient pas pour eux des études distinctes, mais les parts vivantes d’un même tout, et c’est à ce tout qu’ils s’efforçaient ardemment d’atteindre. Songez aux vieux savants grecs, à un Pythagore, à un Aristote et vous comprendrez encore mieux ma pensée. La science jusqu’à nos jours fut une métaphysique, un poème, un hymne mélodique à l’Univers ou la Divinité. Elle révélait, elle livrait vraiment l’univers à l’homme. Elle élargissait sa pensée à la mesure des forces naturelles : l’élan du cœur, l’inspiration religieuse accomplissaient et multipliaient tout effort de la raison. On sentait alors l’unité du monde ; on cherchait le sens de la vie universelle. L’âme humaine se dressait debout devant la création, et, ouverte comme au souffle de l’Océan, elle en aspirait la palpitation infinie. Tout cela, nous l’avons oublié maintenant. Nous avons oublié que cet univers infini est une unité vivante : que tout homme est une part active, solidaire et responsable de cette vie illimitée qui l’enveloppe. Nous l’avons oublié, et ce n’est plus la science qui nous en fera souvenir. Au lieu de nous livrer ce vertige animé du Vrai, elle nous donnera un caillou, une fibre végétale, ou la vertèbre cervicale de tel animal disparu.

Je me souvins des propos que Goethe avait tenus, la nuit précédente sur la terrasse de son jardin, devant le ciel étoilé, et l’on devine quelle suite de réflexions intérieures l’avait conduit à notre conversation. Je lui demandai alors si, tout en reconnaissant que nul ne peut plus prétendre à l’omniscience, il ne serait pas louable, fécond, de conserver au moins une curiosité universelle.

— À cela seul l’existence se perd, dit Goethe. On se condamne à ne pas laisser une œuvre. Songez-y : la vie est bien courte. Et puis, ce n’est pas seulement le temps perdu ; mais l’homme curieux qui aura voulu maintenant se composer une vue d’ensemble du savoir humain, de l’art, de la littérature, cet homme-là aura porté en lui l’esprit critique à un point de développement excessif. Son travail personnel ne pourra plus le satisfaire ; il abandonnera tous ses projets, l’un après l’autre, parce que sa mémoire lui aura servi trop de souvenirs, trop de comparaisons humiliantes… Vous devez bien me comprendre, Eckermann, ajouta-t-il en souriant et en me tirant l’oreille. C’est votre portrait que je dessine en ce moment.

Il est vrai que j’ai souvent confié à Goethe cette hésitation peureuse qui me fait abandonner l’un après l’autre tous mes plans de travail. Mes scrupules m’arrêtent durant quelques jours, et puis alors c’est mon idée même que je sens flétrie et morte. Certes, il faudrait penser aux autres avec moins de curiosité, et avec plus de vigueur à soi-même. J’ai senti que Goethe avait raison. Peut-être est-ce pour cela que son allusion familière m’a gêné, car je lui ai répliqué avec une certaine aigreur cachée :

— Mais à quoi n’avez-vous pas touché vous-même ? La nomenclature du Docteur Faust ne serait guère plus copieuse : Histoire, Mathématiques, Physique, Théologie, Orientalisme… Cela a-t-il empê-