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dans une espèce d’oppression et de dépendance physiques. Le travail qu’accomplit une jeune Chinoise est peu de chose. Quelques bagatelles en fait de cuisine, comme écosser des pois, préparer des légumes, voilà ce que l’on confiait à mes cousines. Entre les repas, on leur apprenait à coudre, à broder, à filer le lin. Elles n’étaient jamais aussi heureuses que lors quelles travaillaient en groupe assis. L’une contait une histoire, une autre chantait une ballade, avec ce ton plaintif qui fait le charme du genre. On enseignait aussi à mes cousines la lecture et l’écriture, en même temps qu’à nous, garçonnets, jusqu’à ce qu’elles eussent onze ou douze ans. Alors, on estima qu’elles ne devaient être laissées plus longtemps avec nous ; surtout, lorsque quelques garçons étrangers vinrent à notre école qui était située dans l’appartement des hommes.

En terminant ce chapitre, je désire appeler votre attention sur ce fait, que les filles chinoises (quoique vous puissiez trouver qu’elles mènent une existence monotone, et quoiqu’elles soient évidemment étrangères aux plaisirs excitants des Américaines), les Chinoises, dis-je, sont généralement satisfaites et jugent que leur destinée n’est pas sans charmes.

Il est d’usage, je le sais, de représenter les jeunes Chinoises comme languissant dans leur appartement et contemplant d’un œil triste les murs qui les enferment. Évidemment, elles ne possèdent pas cette excessive liberté qui perd les jeunes Américaines : cependant elles ne sont pas mises sous clefs et verrous. Elles ont la liberté qui concorde avec nos idées de propriété ; elles font des visites, elles invitent leurs voisines, elles vont au théâtre, elles regardent des vues, elles assistent aux régates, et jouissent de divers autres agréments sociaux.

Mais quoi qu’elles fassent, il y a toujours une barrière : la compagnie des jeunes gens leur est défendue. Et, quand elles sont mariées, elles n’ont que la société de leurs époux. Vous dites peut-être : « La destinée des Chinoises est une faillite. » Non ; elles regardent l’existence des Américaines comme tout à fait en désaccord avec la nature.

Yan-Fou-Li
(À suivre.)