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Il y a un autre jeu qu’on joue devant les étalages de fruits : il consiste à deviner le nombre de pépins d’une orange. Le perdant paie le fruit et le gagnant le mange.

Il n’y a pas beaucoup de jeux où les garçons et les filles jouent ensemble. Si cela arrive, c’est qu’ils sont encore dans la petite enfance, au-dessous de dix à douze ans… Quand les filles grandissent, elles n’ont plus aucun rapport avec les garçons, quoique garçons et filles soient très sociables, du moins avec les amis de leur sexe.

V
Les petites filles que je connaissais

Je persiste à trouver fausses les idées américaines sur les coutumes, les mœurs et les institutions de la Chine. Et ici un petit blâme à ce peuple libre qui ne voit pas d’autre moyen de se renseigner sur la réalité que les paperasses ou les racontars de voyageurs qui n’ont pas compris ce qu’ils voyaient en traversant notre pays. Depuis le temps de Sir John Mandoville, les voyageurs (à part quelques nobles exceptions) semblent avoir voulu rivaliser en rapportant les plus ébahissantes histoires sur notre antique patrie. C’est pourquoi ce que je dis dans cette série d’articles sur les coutumes, mœurs et institutions chinoises peut contrecarrer la croyance générale.

L’on a encore moins dit la vérité sur la « belle moitié » du peuple de Chine, que sur le « sexe fort », parce qu’elle est encore moins connue. Ce que je me propose de noter ici est absolument tiré de mes observations journalières sur les membres féminins de ma famille et de mon entourage.

Les distances sociales existent en Chine. Un homme est fier du grand nombre de ses parents, tout autant que de l’influence que sa famille exerce sur le reste de la cité, par suite de sa fortune ou de sa situation. Mais la générosité envers la classe humble est si commune et la pratique en est si vivement recommandée dans le code en quelque sorte moral des Chinois, qu’elle cesse d’être un mérite individuel : elle est une vertu nationale.

Parmi mes nombreuses cousines, tantes et autres belles amies qui faisaient partie du cercle de mes affections, quelques-unes vivaient dans la même maison que nous, sous la surintendance de mon aïeule, comme je l’ai dit. J’avais deux tantes qui étaient trop jeunes pour être mariées, deux tantes en possession de maris, et trois petites cousines. Dans la même rue, demeuraient trente ou quarante familles, toutes unies à la nôtre par les liens du sang et dont j’avais le privilège, comme parent très jeune, de voir souvent les femmes. Je vous assure qu’il y avait toutes sortes de tempéraments et de caractères. La gentille, la renfermée et la modeste fille à côté de la rude, de l’impolie et de la hardie. Il y en avait avec de doux yeux, il y en avait de rébarbatives.