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du Christ, qui répond si bien aux aspirations les plus élevées des hommes de notre temps.

Dix-neuf cents ans se sont écoulés depuis la venue du Christ, mais sa doctrine, dans toute sa pureté, répond encore aujourd’hui au besoin que nous avons d’établir un rapport de nous à Dieu, non pas de nous au Dieu d’Israël, orthodoxe, catholique ou protestant, mais de nous à ce Dieu par la volonté de qui existent l’univers infini et, dans cet univers, la terre, de même que je vis, moi, sur cette terre, à New-York ou dans les déserts de l’Afrique, produit d’une évolution de la vie animale qui se poursuit depuis des milliers de siècles.

La principale différence entre le rapport particulier, exclusif, qui est l’objet de toute religion — bouddhisme, brahmanisme, islamisme ou autre — et la véritable foi chrétienne consiste en ceci : toutes les religions, outre qu’elles sont incompatibles avec le savoir et le bon sens, ont pour caractère de se nier, de s’exclure mutuellement, tandis que la foi du Christ est intelligible, accessible à chacun et que ni la négation ni le doute ne peuvent tenir contre elle. Cette foi n’est pas exclusive, elle s’harmonise et concorde avec ce qu’il y a de vrai et d’élevé dans toutes les religions.

Elle proclame que le principe universel est esprit, raison et amour. Ce principe, elle l’appelle Dieu ou Père. Elle l’appelle Père parce que chaque homme le reconnaît en lui-même. Tout d’abord l’homme croit vivre de la vie animale ; il pense que sa nature corporelle constitue son « moi ». Puis, à mesure que se développe sa raison, il s’aperçoit que sa nature corporelle n’est pas libre, que son corps souffre et sera détruit, tandis que sa conscience lui révèle confusément l’existence de quelque chose qui échappe à la servitude, à la souffrance et à la mort ; alors l’homme est jeté dans l’incertitude par la contradiction qu’il découvre en lui.

Or l’enseignement du Christ résout cette contradiction. Il dit à l’homme : il te semble que c’est l’animal qui vit en toi, mais cela n’est qu’une apparence pareille à celle dont on est dupe quand on croit que le soleil tourne autour de la terre ou quand, d’une barque en mouvement, on croit voir se déplacer le rivage. Ce qui vit dans l’homme, c’est seulement son principe spirituel, raisonnable et bon — c’est le Fils de Dieu. L’homme doit apprendre à considérer comme le fondement de son « moi », non plus sa nature corporelle, mais son être spirituel et à satisfaire les désirs de l’esprit et non du corps. Voilà ce qu’il lui suffit de comprendre pour que disparaisse aussitôt la contradiction de sa vie, pour que, émancipé de toute servitude et de toute souffrance, il recouvre une entière liberté. La mort elle-même cesse de s’imposer à lui parce que l’esprit, qui est Dieu lui-même, ne peut être anéanti : il a toujours été, il est et il sera éternellement.

Que l’homme identifie son « moi » avec son être spirituel — tel est le précepte essentiel de l’enseignement du Christ. Quant aux maximes secondaires, dont l’humanité doit poursuivre la réalisation commencée par le Christ, elles nous commandent de dévoiler et d’anéan-