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des autres, et que, de corruption en corruption, il a abouti au fanatisme sauvage de l’Inquisition ; elle sait ce qu’ont été les conciles où les dogmes furent établis ; elle sait que le bouddhisme avec son maître Çakya et toutes les autres religions ont eu la même histoire ; elle sait que les religions évoluent nécessairement aussi bien que les organismes et les États, qu’elles naissent, se développent, vieillissent et disparaissent comme ont déjà disparu celles de l’Égypte et de la Perse ; elle sait que les livres que nous appelons les « Saintes Écritures » ne nous sont pas venus du ciel, mais que, sortis de la main des hommes, ils ont été, dans la suite des temps, épurés et déformés, si bien qu’ils ne peuvent avoir d’autorité indiscutable ; elle sait que la solidité du ciel n’est qu’une illusion, qu’Énoch, Élie et le Christ, en s’élevant dans les airs, n’y auraient pu trouver où se nicher et qu’ils volent encore s’ils se sont envolés ; elle sait que les mêmes prodiges, par lesquels l’Église essaie de prouver la vérité de ses dogmes, sont rapportés par toutes les traditions religieuses, que l’enfantement par une vierge, les signes accompagnant la naissance, le don prophétique et la sagesse se révélant dans un enfant, l’incorruptibilité, la résurrection, etc., sont autant de traits fabuleux qui se retrouvent dans toutes les religions comme se retrouvent les mêmes exploits héroïques dans les épopées populaires. Tout cela, cette dame doit le savoir, parce qu’on le lui a appris, parce qu’elle a pu le lire dans les livres qui sont à sa portée. Tout cela est également connu des messieurs qui fréquentent dans son salon.

Voilà pourquoi, non content de lui contester le droit de l’avoir, j’affirmerai même qu’elle ne peut pas avoir la foi du charbonnier. Elle peut dire qu’elle croit comme son charbonnier ; en réalité elle ne peut pas croire comme lui. Pour elle ou pour le charbonnier, les conditions de la foi sont les mêmes. Il faut, pour qu’elle croie vraiment, que sa foi embrasse tous les éléments de sa connaissance, qu’elle ne soit pas en opposition avec sa conception du monde, mais au contraire qu’elle éclaire, qu’elle explique, qu’elle coordonne en un tout toutes ses notions.

Cette dame ne me comprendra pas, parce que, cette foi du charbonnier, il la lui faut pour continuer à faire servir effrontément à ses caprices, à son luxe de chaque jour, le travail de centaines d’ouvriers, tout en devisant et de Dieu et du Christ et de sa naturelle religiosité. S’approprier, confesser la foi du charbonnier, — en d’autres termes, la foi d’hommes qui vivaient il y a deux mille ans — elle n’a pas d’autre moyen d’assurer la tranquillité de la vie impie où se complaît sa religiosité satisfaite. C’est pourquoi je la comprends encore : mais vous, exilé aux extrémités de la terre, qui vous traînez de village en village au pays des déportés pour avoir voulu conformer votre vie aux vrais préceptes du Christ, mais vous, pourquoi céder à cette redoutable illusion et mettre cette irréductible contradiction entre vos croyances et les notions que vous avez acquises sur le monde ?

Pensez seulement à vos convictions, à votre état. Oui, je sais : il