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De l’Illusion religieuse


J’ai reçu et je continue de recevoir vos innombrables lettres, mon cher ***, et je voudrais répondre de façon complète à ce qu’elles contiennent de plus important pour moi.

Vous supposez à tort : d’abord, que je suis fâché contre vous ; ensuite, que, selon moi, notre vie finit ici-bas ; enfin, que je puis et dois mettre mes soins à fournir des secours pécuniaires à quelques personnes choisies par vous parmi les millions d’hommes qui m’entourent. À tout cela, il serait, je pense, superflu que je réponde, puisque les réfutations que j’en pourrais faire ont déjà été présentées par moi dans mes écrits avec toute la force et le développement que je suis capable de leur donner. Je vous envoie la collection de mes œuvres. C’est, comme vous savez, dans les ouvrages interdits que vous trouverez toutes ces réfutations.

De colère, je n’en puis avoir contre vous, par la raison surtout que je vous aime. Ce même motif me fait désirer de vous aider dans la pénible et dangereuse situation où je vous vois. Je veux parler de l’envie qui vous tient de vous laisser endormir dans la foi de l’Église. Cela est très dangereux, parce qu’à ce jeu l’homme perd le plus précieux de tous ses biens, — sa raison.

Une dame qui jouit d’une grande fortune et d’une haute situation à la Cour m’entretenait un jour de la foi religieuse. Elle se vanta d’avoir, quant à elle, la « foi du charbonnier ». Et visiblement elle croyait faire tenir quelque chose de subtil, de profond même dans cette marque d’honneur qu’elle donnait, elle, une personne si raffinée, à la foi du charbonnier. Or, ce qu’elle disait là était sot et, de plus, inexact.

Cette dame sait lire et écrire en plusieurs langues ; elle a étudié la cosmographie, l’histoire ; elle n’est pas sans avoir entendu parler de Voltaire, de Renan, du brahmanisme, du bouddhisme, du confucianisme. Et c’est pourquoi elle ne peut pas avoir la foi du charbonnier. Le charbonnier qui croit à la Sainte Vierge, à Saint Nicolas, au Père Éternel qui est dans les cieux, etc., va jusqu’au terme de sa connaissance et sa foi non seulement n’est pas en contradiction avec son idée de la vie, mais encore elle lui explique, elle lui éclaire le phénomène de l’existence du monde. Pour la dame en question, la chose n’est plus possible. Elle sait que le monde ne doit pas son existence à un acte créateur qui se serait accompli il y a 6.000 ans ; elle sait que l’humanité est issue, non d’Adam et d’Eve, mais du développement de la vie animale ; elle sait qu’il existe sur la terre des hommes qui professent d’autres religions que la sienne et que ces hommes sont cinq fois plus nombreux que les chrétiens ; elle sait que le christianisme s’est dénaturé, qu’il continue de se dénaturer, qu’il a donné naissance à des centaines, à des milliers de sectes ennemies les unes