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Dans le même ordre d’idées, nous disons « A-suk » à un oncle, « A-ko » à notre frère aîné, « A-ha » à notre sœur aînée. Les cousins du côté paternel sont comptés comme frères. L’enfant doit se lever de sa chaise quand ils approchent. S’il est pris à partie pour quelque chose qu’il ait faite, il ne doit jamais répliquer, ni chercher une justification.

Une telle faute ne serait pas aisément pardonnée : un double châtiment viendrait aussitôt corriger le coupable. Combien de fois me suis-je repenti de mon imprudence à contredire mes parents, mes oncles, mes professeurs ! Souvent, je tentais de fournir des explications sur une apparence de mauvaise conduite. Mais les Chinois n’acceptent pas de discussions sur de semblables sujets. Il vaut mieux, pour un fils accusé, un pupille, un serviteur, souffrir la punition en silence, même s’il a conscience de n’avoir pas mal agi. Cela paraît vraiment déraisonnable, et, en fait, cela nourrit une morosité, un esprit caché de rébellion, avec la seule crainte d’être surpris. Mais les Chinois estiment cette méthode absolument nécessaire pour le maintien de l’autorité. Dans chaque famille, le rotin est toujours prompt à la maison, vu la majestueuse colère que provoque l’outrage aux lois familiales. Il n’entre pas dans mon intention de représenter les Chinois comme naturellement cruels. Ils ne le sont pas. Simplement, ils maintiennent dans la famille la discipline par des moyens empruntés à un autre âge. Les parents et les maîtres ont enduré les mêmes traitements. Les coutumes de leurs ancêtres commandent cela, les enseignements de Confucius prescrivent cela, et les lois de l’Empire y apportent le concours de leur autorité.

En réalité, dans les classes inférieures et moins éduquées, nous trouvons la discipline familiale moins stricte que dans les milieux plus élevés de la nation. Quant à moi, il m’advint de naître dans la plus haute des conditions moyennes. Il n’y a pas en Chine de caste, dans le même sens qu’il en existe aux Indes. En Chine, la faveur, la littérature, les emplois officiels anoblissent une famille et peuvent l’élever d’un rang inférieur à une situation prépondérante. Les règles et le gouvernement de ma famille étaient aussi rigoureux que possible. J’ai vécu les années de mon enfance dans un effroyable état d’esprit. Comme tous ceux de cet âge, j’avais besoin de crier, de sauter, de galoper, de montrer mes répugnances ou mes affections, de laisser la bride à la vie animale, à mes impulsions pleines d’étourderie. Mais, comme le poulain qui traîne les harnais, j’étais refréné et courbé. Ma langue était enchaînée, mes pieds étaient entravés par ma crainte de mes aînés. Mon père était un homme austère, comme avait été son père à lui. Il est resté très nettement dans mon souvenir, à cause des peurs qu’il m’a causées.

Pourtant, il était foncièrement bon et doux.

Bien que les circonstances dans lesquelles j’ai essuyé des punitions aient été relativement rares, je me souviens de la constante impression de frayeur que j’éprouvais, quand j’avais commis quelque action