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bon calendrier, Narcisse. J’ai compris. Mais je veux que ma femme me tienne compagnie à cette table tout de même. J’ai une faim pleine de bonheur.

— César ?

— Elle est morte, je sais. Les femmes jouent les assassinées à chaque nouvelle lune.

— Tu n’as plus de femme, César ! Tu n’as pas spécifié, hier, quand tu as dit de massacrer tout le monde, même l’histrion sans importance, qu’il ne fallait pas la tuer. On l’a poignardée et elle n’est plus là, et le Sénat vient de faire ôter son nom et ses images des lieux publics et particuliers et de ton palais tout à l’heure et de cette salle, César.

— Alors… Vénus… n’est plus là ?

Et d’un geste maniaque, il rue sur le plateau d’argent sonore qui couvre tout le guéridon le sens-dessus-dessous de sa coupe vide, et écoute choir le silence.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Il écoute, avec toute l’angoisse d’une Danaïde penchée sur son tourment. Et sans transition il éclate d’un rire inextinguible, et, les yeux qui s’illuminent d’un espoir divin, il tend sa même coupe à l’échanson :

— À BOIRE !

Et c’est ainsi que Claude César, accoudé sur sa couche insatiable d’amour et de festins, pâle, la joue céruléenne de la récente assiduité de son barbier, prototype de Barbe-Bleue à moins de générations de distance que le cynocéphale aux fesses écarlates n’est l’aïeul de nos gloires guerrières, méditait sa quatrième femme :

Agrippine.

Alfred Jarry


FIN