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Une parfaite indifférence à l’égard des questions religieuses, la négation des formes religieuses, l’absence de toute croyance religieuse positive valent incomparablement mieux pour un enfant que tous les enseignements des Églises juives sous quelque forme qu’ils lui soient présentés.

Il me semble qu’un homme qui a bien compris ce qu’il ferait en proposant comme vérité sacrée une doctrine mensongère, ne peut hésiter sur le parti qu’il doit prendre pour l’éducation d’un enfant, à supposer même qu’il n’ait à lui transmettre aucune foi positive. Sachant que tout n’est que fictions dans l’enseignement de l’Église, comment pourrais-je dire à l’enfant, qui vient m’interroger avec naïveté, avec confiance, que ces fictions, dont je connais l’inanité, sont des vérités sacrées ? Il vaudrait mieux que je pusse lui indiquer les vraies solutions de toutes les questions auxquelles l’Église répond par des mensonges. Mais, si j’en suis incapable, je dois tout au moins de ne pas lui donner pour une vérité ce que je tiens pour un mensonge, car je sais d’une façon certaine qu’il ne résultera rien que du bien de ma constance dans le vrai. Au reste il est faux qu’un homme ne puisse trouver en lui d’autre conviction à transmettre à son enfant que sa foi dans les dogmes d’une religion positive. Tout homme sincère connaît le bien, qui est la raison de sa vie. Ce bien, qu’il le révèle à l’enfant par la parole et par l’exemple ; ainsi fera-t-il œuvre bonne sans se mettre en risque de nuire.

Dans une brochure intitulée « La doctrine chrétienne » j’ai tâché d’exprimer toute ma foi aussi simplement et aussi clairement que possible. Dans sa forme définitive cet ouvrage est inaccessible aux enfants, pour qui cependant je l’avais écrit.

Mais, voici ce que je dirais, s’il me fallait tout de suite expliquer à un enfant le fond de la doctrine religieuse où je crois avoir trouvé la vérité. Nous sommes venus au monde et nous y vivons, non par notre propre volonté, mais par la volonté de celui que nous appelons Dieu. C’est pourquoi nous ne goûterons de joie qu’en accomplissant cette volonté. Or, cette volonté se propose le bonheur de tous les hommes ; et, pour que se réalise le conseil de Dieu, une seule chose est nécessaire : c’est que chacun de nous en use avec autrui comme il voudrait qu’on en usât avec lui-même.

Que si ce même enfant m’interrogeait sur les origines du monde et sur la destinée qui nous attend après la mort, je répondrais à sa première demande par l’aveu de mon impuissance à résoudre une question naturellement insoluble — que les bouddhistes du reste se sont toujours abstenus de poser — ; à la seconde, par cette hypothèse : que la volonté de celui qui nous a appelés à la vie pour notre bien nous conduit par delà le tombeau vers quelque demeure mystérieuse où se poursuivra probablement la réalisation du même dessein.

Léon Tolstoï

Moscou, 13 décembre 1899.