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LES MYTHES INCERTAINS
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Or Ulysse, roi d’Ithaque, homme habile entre tous et vainqueur dans toutes les luttes, était devenu vieux. Souvent, au rythme des vagues qui cernent d’écume la rocheuse Ithaque, il voguait dans ses souvenirs. Mais un jour il se rappela la mer qui chantait aux flancs du bateau, les matelots sourds courbés sur leurs rames et il crut sentir encore les cordes qui l’avaient lié au mât. Alors une tristesse amère l’envahit, car il songeait aux roches toutes blanches d’ossements, aux cadavres flottant dans l’eau mouvante et le vieil Ulysse envia avec désespoir ceux qui avaient échoué là-bas, jadis… et qui, sans doute, avaient approché les sirènes !


PAN

Sur la grève j’ai admiré les coquillages laissés par le flot. Les uns étaient mollement recourbés comme des pétales, les autres d’un galbe si franc, d’un jet si plein, d’un dessin si net et si précis que nul burin ne les saurait rendre. Il y en avait de retroussés comme les chapeaux de Tanagre et de plats comme les médailles. Certains étaient bossués comme des casques, le soleil en irisait les aspérités, et d’autres luisaient, plus polis que l’eau tranquille. Les nacres humides chatoyaient dans la lumière, les teintes en étaient plus vives, plus pures, plus transparentes que les fleurs sous la rosée et que les gemmes les plus rares. Des coquilles noires émaillées de points d’or semblaient les yeux de la Nuit ; d’autres, opalines et argentées, faisaient penser aux ongles d’Aphrodite. Je ne pouvais me lasser de ces merveilles, mes yeux ravis se réjouissaient ; j’ai longtemps admiré le rythme sublime de ces formes et de ces couleurs, le rythme de la mer irisée et de la plage nacrée comme une conque.

Si j’allais dans le bois : les arbres y peuvent ravir en extase. Les fleurs du jardin sont des magiciennes et le vol d’un oiseau à travers le ciel peut être doux à l’âme comme un baiser.

Pan, au bord du ruisseau où il s’était arrêté, entendit le chant que chantaient les roseaux où passait le vent : « Oh ! dit-il, les merveilleux roseaux : ils sont musiciens ! » Et il ne s’aperçut pas que le même souffle faisait chanter sa tête.


Auguste Bréal