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la disciplote
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venant d’avoir porté le coup mortel, fut, quinze jours après, nommé sergent. Si les sous-ordres commettent des crimes, c’est parce que les chefs leur en assurent l’impunité.

On a vu le général Varlond se faire le complice des assassins Gofferto, Rossignol et Vallès ; mais il est un autre complice qui ne doit pas rester dans l’ombre, c’est le capitaine Charageat. (L’année dernière, un disciplinaire, Jamin, raconta l’existence de damné qu’il vécut à la 4e compagnie. « Le sinistre capitaine Charageat », disait Jamin.)

Le général Varloud, trois jours après le dépôt du rapport établi par le médecin-major, commença une enquête, avons-nous dit. Quand un général annonce qu’il fait une enquête, il faut entendre qu’il fait faire cette enquête.

Or, pour le cas de Matton, quel pouvait être l’intermédiaire entre les assassins et le général Varlond ? — Charageat, capitaine commandant la 4e compagnie de discipline où le crime avait été commis.

Car, dans l’intérieur de sa compagnie, le commandant d’une compagnie de discipline à la puissance d’un colonel, il est chef de corps ; il s’ensuit que seuls, un général ou un colonel plus ancien de grade, peuvent s’immiscer dans les affaires exclusivement disciplinaires. Jamais on n’a entendu dire qu’un général ou un colonel soient venus à Aumale pour enquêter personnellement.

Alors : ou le général Varlond mentit en annonçant une enquête qui n’avait pas eu lieu, ou Charageat a procédé à cette enquête. Si le général n’avait pas donné suite au rapport du médecin-major, lui, Charageat, capitaine de la compagnie, connaissant les moindres circonstances de la mort de Matton, devait passer outre et s’adresser au ministre de la guerre. Démarche qu’il ne fit pas. Charageat, connaissant les faits, procéda à l’enquête, et les meurtriers ne furent pas poursuivis, alors que le crime a été prouvé par le rapport du médecin major et par les dépositions des témoins.

Les assassins de Matton ont trouvé près de Charageat cette solidarité dont il avait fait preuve en faveur du sergent Perrin pour l’assassinat du disciplinaire Cheymol dont la presse s’occupa il y a deux ans.

Nous laisserons au lecteur le soin de choisir les épithètes qui conviennent aux sévices que nous avons énumérés ; mais il nous semble utile de répéter que l’ordonnance royale rendue en 1788, alors que la monarchie était encore absolue, défendait tout châtiment corporel dans l’armée française. Nous devons aussi ajouter que tous ces faits, pour excessifs qu’ils puissent paraître, ne sont pas rares dans le régime des corps disciplinaires de la guerre, où ils constituent presque une règle, leur absence étant l’exception.

G. Dubois-Desaulle