Page:La Revue blanche, t22, 1900.djvu/343

Cette page a été validée par deux contributeurs.

proches, et moindres les éloignées. Je crois qu’elle prédit l’avenir. Je m’y suis découvert de toutes petites rides futures. J’ai eu beaucoup de plaisir à m’y savoir très laide.

« Et puis, le nez de César, renflé du bout, y fut une trogne. Si un homme nu se voyait homme dans cette boule, il s’y verrait dieu ! le dieu que je cherche. Mais il n’y a rien dans la boule en verre de plus que dans une tête humaine, de vains songes.

… L’Asiatique a dû rapporter cette boule d’Asie pour offrir un miroir au dieu ! C’est l’image conservée de Phalès qui lui communique cette vertu, de réfléchir sous l’aspect de l’apothéose. L’Asiatique a certainement le dieu favorable, il est le prêtre de son temple. Le dieu solaire visite les premiers les hommes des contrées où le soleil se lève ! Je ne m’étonne plus que Poppée préfère l’Asiatique à son mari. Et pourtant Cornélius est beau, je sais bien, j’ai couché avec ! L’Asiatique est chauve et gras, m’a-t-on rapporté, et a les sourcils de travers ! Je n’ai pas connu l’Asiatique… encore. Si je… ? — Je connaîtrai le dieu qu’il garde dans son jardin — à moins qu’il ne soit lui-même le dieu des jardins. Et de même que j’ai mes bijoux dans un coffret fermé, j’aurai à moi la clé des jardins, la clé du dieu !

Et elle étendit la main vers une des images de Phalès (il n’y avait guère d’ustensile de toilette qui ne la portât sur le manche), et, ses idées rassérénées jusqu’au folâtre et au féroce, vers le plus puéril joujou, le hochet d’argent au son clair, dont la matière faisait impérieux et impérial le souvenir d’un cliquetis d’os, — et sonna son dénonciateur.

Alfred Jarry

(À suivre)