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portique, de la bibliothèque de Lucullus, retourné dans le miroir :

AMOR
AMOR

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Mais quand l’impératrice eut pleuré, — comme d’une pluie sur les jardins, les jardins se firent si beaux qu’elle comprit bien que le dieu ne pouvait les avoir quittés. Et elle se regarda au miroir et sa face éclipsa la Ville, et elle cria de toute sa voix, en nommant sans peur le dieu par son nom :

— Merci, Amor ! dieu de Rome, d’abandonner Rome et son puant Suburre, pour les jardins qui s’épanouissent devant la fenêtre de Messaline. Tu n’étais pas fait pour être citadin ; pare-toi de fleurs, dieu agreste, éternel dieu des jardins ! Tu ne trouveras pas ailleurs plus ample culte que dans ton nouvel empire, dieu de Messaline !

Elle se remit joyeusement à sa fenêtre.

— À qui ressemble-t-elle, cette ville, casquée d’une perruque verte, qui veut être une femme, ou cette femme qui veut être la Ville ? comme si une autre que Messaline, de la petite bouche de son sexe, pouvait dévorer toute la Ville !

Je te reconnais, malgré que tu caches ton visage ! tu es Poppée Sabina, maîtresse de Valerius l’Asiatique, qui a payé les jardins de Lucullus à tes caprices, pour en faire la statue de ta nuque et de ta chevelure, aussi royalement qu’il paye ton mari Cornélius Scipion pour n’être qu’un simulacre de mari !

… Le jardin est très beau et Poppée Sabina — pas si belle que moi ! — est une très belle femme. Elle a des robes talaires d’une seule pièce de soie, brodées de figures d’oiseaux, sur la traîne desquelles se déroulerait à l’aise l’amble des cinq cents ânesses du lait journalier de ses bains. Il y a dans le jardin et j’ai vu — pendant que mon mari (il n’a pas vu le dieu, lui), avec sa méfiance habituelle faisait fouiller tous les bouquets d’arbres, — une merveilleuse boule en verre de Sidon, grosse comme une tête d’homme ! Je n’ai pas de miroir si parfait dans ce cabinet, sauf mon portrait de perles. Et comme j’ai regardé déjà, au Plus-Grand-Cirque, à travers une émeraude de Scythie, les choses y paraissent plus grandes qui sont