intraitable !… » Est-ce qu’elle me prend pour une fille de ferme, une paysanne, une bonne de province ?… La propreté !… Ah ! je la connais ! Elles disent toutes ça… Et, souvent, quand on va au fond des choses, quand on retourne leurs jupes, et qu’on fouille dans leur linge… ce qu’elles sont sales ! Quelquefois à vous soulever le cœur de dégoût !…
Aussi, je me méfie de la propreté de Madame… Lorsqu’elle m’a montré son cabinet de toilette, je n’y ai remarqué ni petit meuble, ni baignoire, ni rien de ce qu’il faut à une femme soignée et qui la connaît dans les coins !… Et ce que c’est sommaire là-dedans, en fait de bibelots, de trousses, de flacons, de tous ces objets intimes et parfumés que j’aime tant à tripoter !… Il me tarde de voir Madame toute nue, pour m’amuser un peu !…
Le soir, comme je mettais le couvert, Monsieur est entré dans la salle à manger… Il revenait de la chasse… C’est un homme très grand, avec une large carrure d’épaules, de fortes moustaches noires et un teint mat… Ses manières sont un peu lourdes, un peu gauches, mais il paraît bon enfant… Évidemment ce n’est pas un génie comme M. Jules Lemaître, que j’ai tant de fois servi, rue Christophe-Colomb, ni un élégant comme M. de Janzé… Ah ! celui-là ! Pourtant, il est sympathique… ses cheveux drus et frisés, son cou de taureau, ses mollets de lutteur, ses lèvres charnues, très rouges et souriantes, attestent la force et la bonne humeur… Je parie qu’il est porté sur la chose, lui ! J’ai vu cela tout de suite, à son nez mobile, flaireur, sensuel, à ses yeux extrêmement brillants, doux en même temps que rigolos… Jamais, je crois, je n’ai rencontré, chez un être humain, de tels sourcils, épais jusqu’à en être obscènes et des mains si velues !… Ce qu’il doit en avoir un dessus de malle, le gros père !… Comme la plupart des hommes peu intelligents et de muscles développés, il est d’une grande timidité.
Il m’a examinée d’un air tout drôle, d’un air où il y avait de la bienveillance, de la surprise, du contentement… quelque chose aussi de polisson sans effronterie, de déshabilleur sans brutalité… Il est évident que Monsieur n’est pas habitué à des femmes de chambre comme moi, que je l’épate, que j’ai fait, sur lui, du premier coup, une grande impression… Il m’a dit, avec un peu d’embarras :
— Ah ! Ah !… C’est vous, la nouvelle femme de chambre ?
J’ai tendu mon buste en avant, j’ai baissé légèrement les yeux, puis, modeste et mutine, à la fois, de ma voix la plus douce, j’ai répondu simplement :
— Mais oui !… Monsieur, c’est moi !…
Alors, il a balbutié :
— Ainsi vous êtes arrivée !… C’est très bien !… C’est très bien !…
Il aurait voulu parler encore… cherchait quelque chose à dire, mais, n’étant pas éloquent ni débrouillard, il ne trouvait rien… Je m’amusais vivement de sa gêne… Après un court silence :
— Comme ça, a-t-il fait, vous venez de Paris ?