Page:La Revue blanche, t21, 1900.djvu/98

Cette page a été validée par deux contributeurs.

de chic et ignore les grandes couturières. Elle est plutôt fagotée, comme on dit. Bien qu’elle affiche une certaine prétention dans ses toilettes, elle retarde d’au moins dix ans sur la mode… Et quelle mode !… Quoique ça, elle ne serait pas mal ; si elle voulait, du moins, elle ne serait pas trop mal… Son pire défaut est qu’elle n’éveille en vous aucune sympathie, qu’elle n’est femme en rien !… Mais elle a des traits réguliers, de jolis cheveux naturellement blonds, et une belle peau… une peau trop fraîche, par exemple, et comme si elle souffrait d’une mauvaise maladie intérieure… Je connais ces types de femmes et je ne me trompe point à l’éclat de leur teint. C’est rose dessus, oui, et, dedans, c’est pourri !… Ça ne tient debout, ça ne marche, ça ne vit qu’au moyen de ceintures, de bandages hypogastriques, de pessaires, un tas d’horreurs secrètes et de mécanismes compliqués ! Ce qui ne les empêche pas de faire leur poire dans le monde… Mais oui ! C’est coquet, s’il vous plaît… Ça flirte dans les coins, ça étale des chairs peintes, ça joue de la prunelle, ça se trémousse du derrière… Et ça n’est bon qu’à mettre dans des bocaux d’esprit de vin !… Ah ! malheur !… On n’a guère d’agrément avec elles, je vous assure ! et ça n’est pas toujours ragoûtant de les servir…

Soit tempérament, soit indisposition organique, je serais bien étonnée que Madame fût portée sur la chose… Aux expressions de son visage, aux gestes durs, aux flexions raides de son corps, on ne sent pas du tout l’amour ; et jamais le désir, avec ses charmes, ses souplesses et ses abandons, n’a passé par là… Des vieilles filles vierges, elle garde, en toute sa personne, je ne sais quoi d’aigre et de suri… je ne sais quoi de desséché, de momifié, ce qui est rare chez les blondes… Ce n’est pas Madame qu’une belle musique comme Faust — ah ! ce Faust ! — ferait tomber de langueur et s’évanouir de volupté entre les bras d’un beau mâle ! Elle n’appartient pas à ce genre de femmes très laides, sur les figures de qui l’ardeur du sexe met parfois tant de vie radieuse, tant de séductions et tant de beauté… Après tout, il ne faudrait pas se fier à des airs comme celui de Madame. J’en ai connu de plus sévères et de plus grincheuses, qui éloignaient toute idée de désir et d’amour, et qui étaient de fameuses gourgandines et qui faisaient les quatre cent dix-neuf coups avec leur valet de chambre ou leur cocher.

Par exemple, bien que Madame fasse tout pour être aimable, elle n’est sûrement pas à la coule, comme des fois, j’en ai vu… Je la crois très méfiante, très moucharde, très ronchonneuse, un sale caractère et un méchant cœur… Elle doit être, sans cesse, sur le dos des gens, à les asticoter de toutes les manières… Et des « Savez-vous faire ceci ? »… Et des « Savez-vous faire cela ? »… Ou bien encore : « Êtes-vous casseuse ?… Êtes-vous soigneuse ?… Avez-vous beaucoup de mémoire ? Avez-vous beaucoup d’ordre ? Ça n’en finit pas !… Et aussi : « Êtes-vous très propre ?… Moi, je suis exigeante sur la propreté ? Je passe sur bien des choses… mais sur la propreté, je suis