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Elle ne pourrait donc pas m’appeler par mon nom, au lieu de dire, tout le temps : « Ma fille ! par ici… Ma fille ! par là », sur ce ton de domination blessante, qui décourage les meilleures volontés, et met aussitôt tant de distance, tant de haines, entre nos maîtresses et nous !… Est-ce que je l’appelle : « la petite mère », moi ?… Et puis, Madame n’a dans la bouche que ce mot : « très cher »… C’est agaçant ! Tout ce qui lui appartient, même de pauvres objets de quatre sous… « c’est très cher ! »… On n’a pas idée où la vanité d’une maîtresse de maison peut se nicher !… Si ça ne fait pas pitié ! Elle m’a expliqué le fonctionnement d’une lampe à pétrole, pareille, d’ailleurs, à toutes les autres lampes, et elle m’a recommandé :

— Ma fille, vous savez que cette lampe coûte très cher, et qu’on ne peut la réparer qu’en Angleterre. Ayez-en soin, comme de la prunelle de vos yeux !…

J’ai eu envie de lui répondre :

— Hé ! dis donc, la petite mère… Et ton pot de chambre… est-ce qu’il coûte très cher ?… Et l’envoie-t-on à Londres, quand il est fêlé ?

Non, là, vrai !… Elles en ont du toupet, et elles en font du chichi, pour peu de chose. Et quand je pense que c’est pour vous humilier, pour vous épater !…


La maison n’est pas si bien que ça… Il n’y a pas de quoi, vraiment, être si fière d’une maison… De l’extérieur, mon Dieu !… avec les grands massifs d’arbres qui l’encadrent somptueusement et les jardins qui descendent jusqu’à la rivière, en pentes molles, ornés de vastes pelouses rectangulaires, elle a l’air de quelque chose… Mais à l’intérieur !… c’est triste, vieux, branlant, et cela sent le renfermé… Je ne comprends pas qu’on puisse vivre là-dedans !… Rien que des nids à rats, des escaliers de bois à vous rompre le col et dont les marches gauchies tremblent et craquent sous les pieds… des couloirs bas et sombres où, en guise de tapis moelleux, ce sont des carreaux, mal joints, passés au rouge et vernis, vernis, glissants, glissants !… Les cloisons trop minces, faites de planches trop sèches, rendent les chambres sonores comme des intérieurs de violon… C’est toc et province, quoi !… Elle n’est pas meublée, pour sûr, comme à Paris !… Dans toutes les pièces, du vieil acajou, de vieilles étoffes mangées aux vers, de vieilles carpettes usées, décolorées, et des fauteuils et des canapés, ridiculement raides, sans ressorts, vermoulus et boiteux ! Ce qu’ils doivent vous moudre les épaules, et vous écorcher les fesses !… Vraiment, moi qui aime tant les tentures claires, les vastes divans élastiques où l’on s’allonge voluptueusement sur des piles de coussins, et tous ces jolis meubles modernes, si luxueux, si riches et si gais, je me sens toute triste de la morne tristesse de ceux-là !… Et j’ai peur de ne pouvoir jamais m’habituer à si peu de confortable, d’élégance, à tant de poussières anciennes et de formes mortes !…


Madame, non plus, n’est pas habillée comme à Paris. Elle manque