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Tout d’abord, je n’ai pas confiance… Certes, Madame est assez gentille avec moi… Elle a bien voulu m’adresser quelques compliments sur ma tenue, et se féliciter des renseignements qu’elle a reçus… Ah ! sa tête, si elle savait qu’ils sont faux, du moins que ce sont des renseignements de complaisance ! Ce qui l’épate surtout, c’est mon élégance… Et puis le premier jour, il est rare qu’elles ne soient pas gentilles, ces chameaux-là… Tout nouveau, tout beau !… C’est un air connu… Oui, et le lendemain, l’air change, connu, aussi !… D’autant que Madame a des yeux très froids, très durs, et qui ne me reviennent pas… des yeux d’avare, pleins de soupçons aigus et d’enquêtes policières… Je n’aime pas, non plus, ses lèvres trop minces, sèches, et comme recouvertes d’une pellicule blanchâtre… ni sa parole brève, tranchante qui, d’un mot aimable, fait presque une insulte ou une humiliation. Lorsque, en m’interrogeant sur ceci, sur cela, sur mes aptitudes et sur mon passé, elle m’a regardé avec cette impudence tranquille et sournoise de vieux douanier qu’elles ont toutes, je me suis dit :

— Il n’y a pas d’erreur !… Encore une qui doit mettre tout sous clé, compter, chaque soir, les morceaux de sucre et les grains de raisin, et faire des marques aux bouteilles… Allons ! allons ! c’est toujours la même chose, pour changer !

Cependant, il faudra voir et ne pas m’en tenir à cette première impression… Parmi tant de bouches qui m’ont parlé, parmi tant de regards qui m’ont fouillé l’âme, je trouverai, peut-être, un jour — est ce qu’on sait ? — la bouche amie… et le regard pitoyable… Il ne m’en coûte rien d’espérer…

Aussitôt arrivée, encore étourdie par quatre heures de chemin de fer, en troisième classe, et sans qu’on ait, à la cuisine, seulement songé à m’offrir une tartine de pain, Madame m’a promenée, dans toute la maison, de la cave au grenier, pour me mettre immédiatement « au courant de la besogne ». Ah ! elle ne perd pas son temps, ni le mien… Ce que c’est grand, cette maison !… Ce qu’il y en a, là-dedans, des affaires et des recoins !… Ah ! bien ! merci !… Pour la tenir en état, comme il faudrait, quatre domestiques n’y suffiraient pas… En plus du rez-de-chaussée, très important — car deux petits pavillons, en forme de terrasse, s’y surajoutent et le continuent, — elle se compose de deux étages que je devrai descendre et monter, sans cesse, attendu que Madame, qui se tient dans un petit salon, près de la salle à manger, a eu l’ingénieuse idée de placer la lingerie, où je dois travailler, sous les combles, à côté de nos chambres… Et des placards, et des armoires, et des tiroirs, et des resserres, et des fouillis de toute sorte, en veux-tu, en voilà !… Jamais, je ne me retrouverai dans tout cela !…

À chaque minute, en me montrant quelque chose, Madame me disait :

— Il faudra bien faire attention à ça, ma fille… C’est très joli, ça, ma fille !… C’est très rare, ma fille !… Ça coûte très cher, ma fille !