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même qu’elle pourrait suffire et qu’elle enlèvera sans doute au livre bien des lecteurs. M. Lasvignes y a tracé un tableau très vivant de la société où Stirner a vécu ; il a très clairement situé la pensée de Stirner dans le mouvement philosophique de son temps. C’est une étude excellente.


LE LIVRE DES MILLE NUITS ET UNE NUIT

Le Livre des Mille Nuits et Une Nuit, traduction littérale et complète du texte arabe par le Dr J. C. Mardrus ; tome III : Histoire du roi Omar Al-Némân et de ses deux fils merveilleux Scharkân et Daoul’makân, — où sont incluses les Paroles sur les Trois Portes, la Mort du roi Omar, les Paroles admirables des adolescentes et de la vieille, l’Histoire du Monastère, l'Histoire d’Aziz, et Aziza et du beau prince Diadème (Editions de La revue blanche).

Le troisième volume des Mille Nuits et Une Nuit vient de paraître. Aucun des contes renfermés dans ce volume, dit tranquillement M. Mardrus, et dans les cinq suivants n’avait jamais été traduit même fragmentairement, en français. » C’est bien simple.

Ce volume ne présente d’ailleurs presque aucune ressemblance avec les deux livres déjà publiés. Il est visible que nous entrons dans un nouveau cycle. Sans doute l’histoire charmante du prince Scharkân avec la vigoureuse Abriza, le mariage du même Scharkân avec sa propre sœur Nôzhatou, qu’il cède ensuite à un grand-chambellan docile et flatté, l’aventure de Daoul’makân avec le pauvre chauffeur de hammam rappellent des légendes déjà connues. Mais les récits de guerre, les batailles interminables contre les chrétiens, poussées jusqu’au siège de « Constantinia », les fourberies abominables de la veille Mère des Calamités, protectrice dernière de l’empire orthodoxe, tout sonne un accent nouveau. Ce sont là des chansons de geste musulmanes. On y pourfend le Roum comme les pairs de Charlemagne pourchassaient l’infidèle. Scharkân, le prince invincible, est une sorte de Roland. Surpris dans un ravin avec son frère Daoul’makân et quelques cavaliers d’élite par toute l’armée chrétienne, il renouvelle, mais victorieusement, la défense héroïque de Roncevaux. Aussi vaillant que le paladin, il sait, quand il le faut, ajouter au courage la ruse. C’est un grand chevalier qui n’est pas naïf.

La variété de ces récits me déconcerte et m’enchante. Ce volume et le précédent, par exemple, semblent correspondre à des âges absolument différents de la civilisation. Ils sont aussi distants l’un de l’autre qu’une chanson du cycle de Charlemagne et un fabliau. Béni soit l’érudit inconnu qui confondit ainsi, dans une suite unique, toutes les saveurs du moyen âge musulman.

La traduction de M. Mardrus, outre qu’elle est exacte, reste vive, claire, imagée. Les strophes, qui continuent à fleurir le récit, sont rendues avec une poésie chaude et brillante. La narration, souvent ample, conserve un ton toujours vif. C’est de l’excellente littérature.