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Les Livres


L'UNIQUE ET SA PROPRIÉTÉ

Max Stirner : L’Unique et sa Propriété, traduction et préface de Henri Lasvignes (Editions de La Revue blanclie).

On connaît mal la biographie de Max Stirner, nous dit M. Henri Lasvignes. Mais les quelques traits qu’il en cite me plaisent absolument. Max Stirner obtint à l’Université les notes moyennes d'un élève docile ; il fut professeur dans un pensionnat de jeunes filles ; il tenta d’établir à Berlin un commerce de lait pur. Il mourut à un âge médiocre. Il avait fréquenté la Société des Libres, réunion d’amis chez un cabaretier de Berlin, qui comprenait Bruno Bauer et Freiligrath et que traversèrent Engels et Karl Marx. Entre temps, il avait écrit l’Unique et sa Propriété, livre soigné, savant, nourri d’exemples, tranquille et froid jusqu’à l’atonie, mais le plus hardi, le plus destructif, le plus libre que la pensée humaine eût encore créé. Je n’ai jamais rencontré, pour ma part, une telle force de destruction flegmatique, une telle ténacité de négation avec une telle absence de passion.

Le livre de M. Stirner est classique en Allemagne. Y a-t-il exercé une action très générale ? Je ne le crois pas. Stirner était en opposition marquée avec sa génération, avec la Jeune-Allemagne de 1848. Il serait en opposition plus manifeste avec l’Allemagne socialiste d’aujourd’hui. Mais, néanmoins, son livre est classique. Il attirera, pour une autre raison, plus puissante encore, la curiosité du public français : c’est qu’il exerça une sensible influence sur la pensée de Frédéric Nietzsche. Certes Stirner n’a jamais eu les dons inouïs de création lyrique, le rajeunissement continu d’images, la prodigieuse pénétration psychologique de Nietzsche. Il n’y a pas de folie poétique dans l'Unique et sa Propriété, ni même de poésie ou de folie tout court. Mais on y trouvera d’avance quelques-unes des idées fondamentales, des formules usuelles de Nietzsche. Stirner, qui fut son précurseur, fut aussi son maître. C’est beaucoup.

La traduction de M. Lasvignes est extrêmement limpide. Elle est précédée d’une préface très étendue, fort complète — si complète