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Musique

ORPHÉE

Le 27 mai 1774 Voltaire écrivait au chevalier de l’Isle : « Nous sommes tous Gluck à Ferney. » Si le succès qui accueillit Iphigénie en Tauride, au Lyrique, et Orphée, à l’Opéra Comique, continue à grandir, bientôt, on sera « tout Gluck » à Paris. Après le mouvement wagnérien qui agita de si curieuse façon le monde des artistes et la petite province des snobs, voici venir le mouvement gluckiste. Un peu plus tôt, un peu plus tard, cela devait arriver, les triomphes des chefs-d’œuvre de Wagner ayant préparé le terrain pour l’épanouissement des chefs-d’œuvre de Gluck. À l’heure actuelle, on ne parle plus que de Gluck, des noblesses de son style, de sa belle simplicité antique, de la pureté de ligne de ses tragédies lyriques, de son inspiration si haute, des splendeurs de ses ouvrages. Encore un peu, on découvrirait en cette ultime fin de siècle, les Iphigénie, Orphée, Alceste, Armide. Pour les dernières générations, Gluck est une sorte de patriarche de la Bible musicale que l’on vénère et admire de confiance, mais dont les ouvrages sont à peu près totalement ignorés. Car, sauf à l’Opéra-Comique, où Orphée se joua récemment, Gluck n’était plus guère admis aux honneurs de l’applaudissement public. Enfin, le Lyrique de la Renaissance vint et Iphigénie en Tauride reparut sur une affiche parisienne. La foule, assoiffée de beauté, s’enthousiasma et Gluck triompha. En attendant que l’Opéra se décide à monter Armide ou Alceste, l’Opéra-Comique a remis à la scène Orphée dans des conditions de luxe inusitées. Ce fut un enchantement des yeux, et M. Albert Carré n’a jamais réalisé quelque chose de plus complet et de plus artiste, que la mise en scène d’Orphée.

Dès l’apparition d’Orphée couché aux pieds du tombeau d’Eurydice dans le bois retentissant de ses plaintes, ça été un ravissement. Cette évocation superbe de l’antiquité sacrée, cette musique éloquente et grandiose en son auguste désolation, cette noble simplicité, tout saisissait et angoissait délicieusement l’imagination. La scène de la descente aux enfers, où la voix implorante d’Orphée alterne avec le tumulte des chœurs et des instruments dans lequel se perdent les aboiements furieux de Cerbère et que dominent de leurs notes implacables les cuivres déchaînés, puis Orphée fléchissant la colère des spectres et des larves et les obligeant à lui livrer passage, cette scène a profondément impressionné, bouleversé l’auditoire. Mais ce qui l’a littéralement enfiévré de beauté, c’est l’acte des Champs-Élysées d’une si intense poésie. Dans le bleu vaporeux d’un jardin enchanté aux lointains se noyant dans un mirage d’or, des ombres exquisément groupées glissent silencieuses et légères. Là tout est sérénité et douceur, grâce et harmonie, et la musique de Gluck, à